Prendre le Japon à la légère ? Une grosse erreur !

Par Rugbyrama
  • Japon - Tonga - Toulouse
    Japon - Tonga - Toulouse
  • Marc Dal Maso (Toulon)
    Marc Dal Maso (Toulon)
  • Ayumu Goromaru (Toulon)
    Ayumu Goromaru (Toulon)
  • Amanaki Mafi (Japon) face aux Etats-Unis - le 11 octobre 2015
    Amanaki Mafi (Japon) face aux Etats-Unis - le 11 octobre 2015
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Au cours de ses cinq voyages au Japon, entre début 2014 et 2017, Jérémy Fadat s'est intéressé à la place du rugby au pays du Soleil Levant. Le journaliste de Midi Olympique a noté une évolution dans la vision que les Japonais ont de ce sport. Il nous raconte comment le Japon est entrain de devenir un pays de rugby.

Rugbyrama : Au Japon, le sport numéro un reste le Baseball, le Football venant juste après. Est-ce qu'au fil de tes voyages, tu as noté un intérêt croissant des Japonais pour le rugby ?

Jérémy Fadat : Absolument. Il y a quelques années, c'était un sport mineur voire quasi inexistant, comme me l'ont raconté les joueurs ou dirigeants que j'ai pu rencontrer sur place. Dans mes souvenirs, en 2014, il fallait arriver à moins de cinquante mètres du Chichibunomiya Rugby Stadium (le stade historique du rugby à Tokyo dans lequel évolue la plupart du temps l'équipe nationale) pour sentir la présence de ce sport. Une fois passé ce périmètre, il n'y avait ni affiche ni image rugby dans les rues ou les métros. Début 2015, j'étais retourné dans ce stade, accrédité pour le tournoi de Tokyo (qui faisait alors partie du World Série de Seven). Il n'y avait pas plus de 2000 ou 3000 personnes dans l'enceinte. L'intérêt n'était pas encore très grand

Comment expliquez-vous cet anonymat dans lequel était plongé le rugby au Japon ?

J.F : Par plusieurs facteurs. Les joueurs stars qui sont passés par la Top League à l'époque (François Steyn, George Smith, Sonny Bill Williams) étaient anonymes quand ils passaient dans la rue. En terme de culture, le rugby est à l'opposé de la philosophie des Japonais : J'en avais discuté avec Marc Dal Maso, alors responsable de la mêlée japonaise. La mêlée justement, c'est un exercice qui nécessite une part de roublardise, donc le fait de jouer avec la règle, chose qui était étrangère aux Japonais. Pour eux, la règle c'est la règle. Dal Maso a également du faire un énorme travail sur tout l'aspect "combat" parce que les batailles dans les rucks ainsi que les chocs frontaux ne sont pas inscrits dans la culture japonaise. Ils sont davantage axés sur la vitesse et l'évitement.

Marc Dal Maso (Toulon)
Marc Dal Maso (Toulon)

La victoire contre l'Afrique du Sud lors de la Coupe du monde 2015 a-t-elle changé les mentalités ?

J.F : Complètement. Cette victoire contre l'Afrique du Sud a été extraordinaire : Le lendemain, et pour une des premières fois de l'histoire, le rugby a fait la une des journaux au Japon. Le peuple japonais a ressenti une fierté immense à faire ce qui est certainement le plus grand exploit de l'histoire des Coupes du monde. Une vraie curiosité est alors née autour de cet exploit, d'autant plus que l'équipe a failli se qualifier pour les quarts de finale. Ce parcours a apporté une vraie exposition sur ce sport.

C'était le feu dans le stade. J'avais l'impression qu'ils étaient champions du monde

Est-ce que l'arrivée de Goromaru à Toulon, en 2016, a également participé à cet essor-là ?

J.F : Pas vraiment son arrivée à Toulon mais plutôt ses prestations pendant le Mondial. Le grand public au Japon s'est alors identifié à lui parce que c'est lui qui mettait les points donc c'est celui qui était le plus sous le feu des projecteurs. Il avait également pour lui "une gueule", avec un visage enfantin dont sont particulièrement friands les Japonais. Ce personnage a symbolisé la réussite nippone à la Coupe du monde. Ensuite, il a dépassé le cadre du rugby au Japon, devenant une star publicitaire : Il a notamment donné le coup d'envoi d'un match des "Giants" (le club phare du Baseball au Japon) devant 40 000 personnes au Tokyo Dome. À travers lui, et même si son niveau sportif est à relativiser puisqu'il ne fait logiquement pas partie du groupe actuel en sélection, le rugby a pu avoir une exposition supplémentaire.

Ayumu Goromaru (Toulon)
Ayumu Goromaru (Toulon)

D'autant plus que les Japonais avaient la Coupe du monde 2019 en ligne de mire...

J.F : J'étais dernièrement au Japon et j'en discutais avec Daisuke Ohata (recordman mondial du nombre d'essais marqués) qui est ambassadeur de la Coupe du Monde 2019. Il me disait que le propre des Japonais est de très vite s’enflammer mais aussi de très vite redescendre. Il dit qu'il y'a eu un enthousiasme débordant autour du rugby après la Coupe du monde, qui est ensuite peu à peu retombé. Aujourd'hui, c'est en train de reprendre parce que leur Coupe du monde se profile (elle aura lieu dans deux ans) et qu'ils voudront faire honneur à cet événement.

Vous qui étiez au stade pour Japon-Australie (30-63), comment jugez-vous la ferveur des supporters japonais ?

J.F : Sur un stade qui comprend 72 000 places (72 327), 45 000 spectateurs étaient présents, soit l'une des plus grosses affluences de l'histoire du Japon pour un match de rugby. Ce n'est absolument pas anecdotique et cela montre un intérêt croissant. Les Nippons ont tendance à s'enthousiasmer en permanence : Les Japonais (qui ont encaissé 63 points à domicile) ont notamment fini par marquer un essai dans les arrêts de jeu après avoir passé les trois dernières minutes dans les cinq mètres australiens. C'était le feu dans le stade, j'avais l'impression qu'ils étaient champions du monde. Les gens s'extasiaient alors que certains auraient déjà quitté le stade en France. Mais c'est une énergie véhiculée qui est toujours dans un respect incroyable : les adversaires se faisaient autant applaudir que les joueurs japonais.

Le speaker expliquait les fautes au micro

À quoi sont-ils davantage sensibles ?

J.F : Contre l'Australie, à chaque fois que l'arrière (Kotaro) Matsushima remontait le ballon avec ses appuis de feu, le stade était en furie. C'est un public enthousiaste mais également en demande d'explications pour les gens qui connaissent moins les règles : A chaque coup de sifflet de l'arbitre, le speaker annonçait au micro la raison de la faute parce qu’ils ont besoin de comprendre toutes les subtilités de ce sport.

Comment jugez-vous la performance de la sélection nippone ce jour-là ?

J.F : Même si les Japonais ont beaucoup souffert physiquement au niveau de la ligne de trois-quarts, tout n’était pas à jeter. Loin de là. En conquête, ils ont quasiment fait jeu égal avec les Wallabies mais ont également été capables de tenir le ballon, notamment en deuxième mi-temps. Ils ont rivalisé sur certaines séquences et ont été récompensés en inscrivant trois essais. L'équipe est encore un peu hétérogène mais il y a vraiment du potentiel : Notamment cette troisième ligne composée de Leitch, Himeno et Mafi qui n'a pas grand-chose à envier à plusieurs sélections mondiales. Surtout, ils disposent d'une marge de progression énorme.

Amanaki Mafi (Japon) face aux Etats-Unis - le 11 octobre 2015
Amanaki Mafi (Japon) face aux Etats-Unis - le 11 octobre 2015

Est-ce que vous avez pu échanger avec des observateurs en vue du match de samedi ?

J.F : Ceux avec qui j'ai pu discuter sont impatients parce que la France reste quand même une nation culturelle de ce sport donc venir se frotter à ce genre d'équipes représente un véritable défi pour eux. Je crois que le public a compris le message que Jamie Joseph, le sélectionneur depuis la fin de la dernière Coupe du monde, martèle ces derniers temps. C'est une nation qui a longtemps remporté des succès fleuves face à Hong-Kong ou encore Taiwan, et qui en parallèle concédaient de lourdes défaites en Coupe du monde. Le but est d'être au niveau en 2019 et Joseph répète que cela passe par des oppositions face aux meilleures nations. Après l'Australie, le Japon va donc affronter la France puis les All Blacks l'année prochaine qu'il va recevoir à Tokyo. Ce sont ces matchs qui vont faire progresser cette formation, en plus de faire rêver le grand public.

Le terrain synthétique peut favoriser les Japonais

Le peuple japonais est reconnu pour faire preuve d'un professionnalisme exacerbé. Est-ce que cela se ressent également sur le terrain ?

J.F : Au delà des qualités intrinsèques des joueurs, la culture japonaise impose le respect du cadre à tel point qu'ils suivent leur stratégie à la lettre sur le pré. Cette rigueur leur a permis de vaincre l'Afrique du Sud à la Coupe du monde. Collectivement, la machine japonaise était tellement bien huilée qu'ils ont réussi à enrayer celle sud-africaine. Il n'y a pas besoin de faire d'éclats incroyables pour ça. En parallèle de cette structure de jeu très rigoureuse, il y a des éléments, je pense à l'arrière Matsushima, qui ont davantage carte blanche pour remonter le ballon, et mettre le feu dans les défenses adverses.

Le XV de France doit-il se méfier ?

J.F : Sur le papier, la France est aujourd'hui au-dessus du Japon mais c'est une équipe en pleine évolution, qui le prouve depuis quelques années. Cela serait donc une grosse erreur de la prendre à la légère. À mon avis, la clé pour les Japonais sera de rester au contact au score : Contre l'Australie, leur défaut a été de prendre beaucoup de points sur le peu de temps faibles qu'ils ont connu. S'ils arrivent à demeurer dans le match jusqu'à la mi-temps, ils pourront installer le doute dans l'esprit des Francis. Par ailleurs, le terrain synthétique de la U Arena peut favoriser la structure rigoureuse des Japonais et leurs appuis de feu. C'est une donnée à prendre en compte pour le scénario de samedi...

Propos recueillis par Johan CAILLEUX

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