Charvet : "José Touré nous a pris pour des fous"

Par Rugbyrama
  • Sella, Charvet, Bérot et Mesnel lors de la victoire des Bleus face aux Blacks.
    Sella, Charvet, Bérot et Mesnel lors de la victoire des Bleus face aux Blacks.
  • France - Nouvelle Zélande 1986
    France - Nouvelle Zélande 1986
  • France - Nouvelle Zélande lors de la finale de la Coupe du monde 1987
    France - Nouvelle Zélande lors de la finale de la Coupe du monde 1987
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C’est une constante : tous les grands succès du XV de France face à la Nouvelle-Zélande ont été précédés d’avant-matches de folie. Le meilleur exemple de cette tradition demeure peut-être ce test de Nantes en 1986, largement remporté (16-3) par des Bleus transcendés par leur mentor Jacques Fouroux…

Si l’on vous parle de Nantes 1986, quel souvenir ce test vous évoque-t-il spontanément ?

Denis Charvet : Plus qu’un match, Nantes, c’est l’histoire d’une révolte. Et celle-ci, on ne la doit qu’à un seul homme, Jacques Fouroux (alors entraîneur des Bleus, ndlr). Nantes, c’est la victoire de Jacques Fouroux. Nous avions perdu assez largement le premier test (7-19). Et à partir de cette défaite, Jacques a trouvé les moyens et les ingrédients pour nous transcender, au bout d’une semaine intense, pour ne pas dire exécrable…

Que s’est-il passé durant cette semaine ?

D. C. : Il a tout fait pour nous rendre la vie infecte, afin de nous placer dans un état second le jour J. Lors des repas, il nous était interdit de parler. Même les mecs habituellement détendus n’osaient rien dire, de peur d’être éjectés du groupe... Je me souviens qu’Alain Carminati, qui devait être titulaire, avait été sorti de l’équipe parce qu’il venait du bataillon de Joinville et était arrivé en fin d’après-midi, alors que Jacques l’attendait dans la matinée. Chaque fois qu’il s’adressait à nous, c’était sur un ton très agressif. Et il a su nous maintenir sous pression en la faisant monter crescendo, comme une cocotte-minute, jusqu’à l’explosion finale dans le vestiaire.

Il y avait de grands coups de casques, ça sonnait partout dans le vestiaire...

Est-il vrai que dans le vestiaire, juste avant l’entrée des joueurs sur le terrain, Jacques Fouroux s’est fait casser le nez par Philippe Sella ?

D. C. : Oui, c’est vrai… (rires) C’est probablement la préparation d’avant-match la plus intense à laquelle j’ai jamais participé. José Touré, qui jouait attaquant au FC Nantes à l’époque, avait été invité à nous suivre, et avait assisté à toute la préparation dans le vestiaire. Une fois le match terminé, il m’avait juste dit : "vous êtes des fous..." C’est vrai que pour quelqu’un de l’extérieur, c’était extrême. Jacques avait mis toute son âme dans cet avant-match, il avait tout donné. Il y avait de grands coups de casques, ça sonnait partout dans le vestiaire...

France - Nouvelle Zélande 1986
France - Nouvelle Zélande 1986

On vous imagine assez mal là-dedans...

D. C. : Moi ? J’étais dans mon coin ! (rires) Je n’ai pas participé à ça, j’ai juste regardé. Mais rien qu’en regardant, c’était impossible de ne pas être secoué. Il y avait de l’électricité dans l’air, c’était irrespirable, quelque chose de terriblement étouffant et communicatif. Mais cet avant-match nous a soudé. Jamais peut-être, je n’étais entré sur un terrain avec autant l’impression de ne faire qu’un avec mes coéquipiers. L’alchimie était totale, avec pourtant des gens si différents qui composaient l’équipe... C’est peut-être la leçon de ce jour-là : pour battre les All Blacks, il faut une unité. C’est en ne faisant qu’on peut les renverser.

Je n’ai jamais autant plaqué de ma vie

On parle beaucoup de l’avant-match lorsqu’il s’agit d’évoquer Nantes. Mais vous souvenez-vous de la partie en elle-même ?

D. C. : C’est simple, ce jour-là, je n’ai jamais autant plaqué de ma vie. Je marque un essai de dix centimètres, mais le souvenir de ce jour-là, c’est le impacts. Ça conait de partout, les All Blacks avaient probablement été secoués comme jamais. Devant, il y avait Ondarts, Garuet, Dubroca, Lorieux, Condom, Rodriguez, Erbani, Champ… Les gros avaient fait un match énorme, ils avaient concassé les Néo-Zélandais. Et paradoxalement, c’est peut-être ce jour-là que nous avons perdu la finale de la Coupe du monde, que nous avons disputé quelques mois plus tard. Si nous avions perdu ce jour-là, je suis sûr que nous aurions eu une toute autre préparation le jour de la finale. Mais c’était impossible de le refaire. Et puis, pour cette finale, les All Blacks nous craignaient, et s’étaient aussi préparés en conséquence. Quand on entend les témoignages de Zinzan Brooke, Gary Whetton ou Michael Jones lors des Oscars Midol, on sent à quel point ils craignaient de perdre cette finale contre nous. L’histoire aurait peut-être pu être différente s’il n’y avait pas eu Nantes…

France - Nouvelle Zélande lors de la finale de la Coupe du monde 1987
France - Nouvelle Zélande lors de la finale de la Coupe du monde 1987

Éric Champ s’est hasardé en début de semaine à donner sa recette toute personnelle pour vaincre les Blacks… Sans surenchérir dans cette extrémité, vous semble-t-il possible de recréer le contexte d’un Nantes 86 dans le rugby actuel ?

D. C. : Je le crois, et je pense que dès samedi, il est possible d’y arriver. Mais pour arriver à trouver ce supplément d’âme, cette alchimie, cette motivation, il faut d’abord le vouloir profondément. Nos Bleus le veulent-ils ? J’en suis sûr. Et s’ils le veulent, notre jeunesse et notre fraîcheur peuvent perturber les Néo-Zélandais. Ils ne sont pas des surhommes, simplement des joueurs de rugby. Mais à force d’en avoir fait un mythe, on en vient parfois à oublier de les jouer, tout simplement. J’espère que samedi, les Bleus auront ce courage, car lorsqu’on les côtoie, je peux vous assurer que les All Blacks ne manquent pas de respect à notre rugby.

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