L’arbitrage mérite-t-il autant les critiques ?

  • Cédric Marchat discute avec des joueurs durant Clermont - Stade français
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  • Un arbitre de touche lors de Brive - Castres
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  • L'arbitre Romain Poite lors de Bordeaux-Bègles - Clermont
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  • L'arbitre Salem Attalah, lors de Racing - Clermont
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  • Salem Attalah et Morne Steyn en discussion
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  • L'arbitre Laurent Cardona
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  • Silvère Tian raccompagné par des stadiers à la fin de la rencontre
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Publié le Mis à jour
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OPINION - C’est une réflexion quasi-philosophique : "l’arbitrage doit-il être infaillible pour être bon ?". Ce point de départ complexe mais caricatural nous pousse à une autre question, plus simple. Qu’attendons-nous vraiment d’un arbitre professionnel, et méritent-ils d’être si souvent au coeur de la critique ?

C’est devenu le passage obligé en zone mixte. Parfois en colère face au micro. Parfois sur le ton de la confidence, entre deux interviews. L’arbitre… jamais cité directement, comme le Président de la République ou le Pape, sa fonction balaye tout, de son nom à ses qualités humaines. Ne reste que sa fonction. Dans la bouche des joueurs et plus encore des entraîneurs, il est celui qui explique un revers injuste, un point perdu bêtement, une mêlée qui recule, une attaque stérile ou une défense perméable.

A en croire les acteurs, le garant de l’application des règles n’est jamais à la hauteur de sa mission. Et les suspensions parfois spectaculaires infligées aux vitupérateurs ne changent pas le fond du problème. Les arbitres sont mauvais, les joueurs irréprochables et les entraineurs des victimes.

Un arbitre de touche lors de Brive - Castres
Un arbitre de touche lors de Brive - Castres

L’exigence de la cohérence plus que la perfection

Victime de quoi, de qui ? Et bien des autres ! Ou plutôt des agissements du seul acteur dont la critique est aujourd’hui publiquement admise. Et totalement assumée… De Johann Authier (Ça n’est pas nous qui perdons le match, on nous a empêchés de gagner ) à Patrice Collazo (Une personne avait décidé que ce n’était pas le jour de La Rochelle ), en passant par Bernard Jackman (Soit M. Cardona et son juge de touche ne connaissaient pas les règles, soit parce que c’était le Racing 92 ) ou Franck Azéma (Il n’a pas été bon, il a été dépassé par l’évènement, il n’y a qu’à voir sa dernière entrevue avec les capitaines pour s’en apercevoir…). L’arbitre est une cible facile et surtout habituelle.

Au coeur de cette critique parfois exacerbée et stupide, une constante revient. La majorité des observateurs ont conscience qu’il serait stupide d’exiger la perfection d’un arbitrage. Beaucoup moins d’espérer la cohérence, comme le soulignait Franck Azéma en début de saison. On peut se tromper, mais il doit y avoir de la cohérence autant dans la prise de décision que dans les appels à la vidéo (après Clermont-Bordeaux, le 12/09/2015).

L'arbitre Romain Poite lors de Bordeaux-Bègles - Clermont
L'arbitre Romain Poite lors de Bordeaux-Bègles - Clermont

La clef d’un bon arbitrage est donnée : la constance. L’homme en noir (qui d’ailleurs n’est plus en noir depuis longtemps) en rugby a comme mission principale et délicate d’appliquer des règles, dont la plupart sont soumises à interprétation. Dès lors, la différence entre un arbitre de haut niveau et un arbitre moins doué réside - en partie - dans sa capacité à appliquer aux mêmes faits la même sanction.

L’incohérence suscite la frustration et la méfiance. Voir les soupçons. C’est pour cela que L’arbitre doit aujourd’hui expliquer, enseigner, décortiquer au maximum ses décisions. Et plus encore, ses motivations. Un terrain fertile pour le développement de deux choses : l’obligation difficile mais nécessaire de la pédagogie, et le basculement des rapports de force où l’arbitre doit désormais justifier ses décisions auprès des fautifs.

L'arbitre Salem Attalah, lors de Racing - Clermont
L'arbitre Salem Attalah, lors de Racing - Clermont

La difficile rapport de force entre professionnels et amateurs

Ce rapport de force entre juge et accusé a toujours existé. Mais autrefois, les échanges se faisaient d’égal à égal. D’un côté, des joueurs amateurs, conscients de leurs lacunes réglementaires. De l’autre, un arbitre considéré comme omniscient, capable de sanctionner, parfois à tort et sans fondement. Le résultat était très discutable, critiqué, mais communément accepté.

Le vrai basculement de ce rapport de force intervient avec la professionnalisation des joueurs. Le postulat posé est simple : un joueur professionnel - et par définition dont c’est le métier - connait nécessairement les règles. La réalité ? Il croit les connaitre… C’est désormais l’un des rôles de l’arbitre que de convaincre, plaider, justifier les fondements de sa décision.

Salem Attalah et Morne Steyn en discussion
Salem Attalah et Morne Steyn en discussion

Une fonction difficile, d’autant que les arbitres ne sont que très rarement professionnels. Sur les 3275 personnes qui officient sur les terrains, seuls 4 en ont fait leur métier (Jérôme Garcès, Romain Poite, Pascal Gaüzère et Mathieu Raynal). A ceux-là s’ajoutent 5 semi-professionnels (Salem Attalah, Laurent Cardona, Cédric Marchat, Sébastien Minery et Alexandre Ruiz). Un contingent bien faible et un problème (parfois inconscient) aux yeux du grand public et de certains acteurs : d’un côté des professionnels, de l’autre des amateurs.

Un aspect vivement critiqué, par exemple, par Jake White : Nous avons passé des heures à préparer des vidéos et des questions que nous avons envoyées, et nous n'avons obtenu aucune réponse de M. Cardona (…). Pourquoi ? Parce qu'il a un autre travail. C'est impensable !

Une mission explicative et pédagogique rendue presque impossible, aussi, du fait de la disparition de la notion de jeu. Les arbitres sont tenus à une obligation de résultats, et pas de moyens. Le match est un cadre sérieux, dont le résultat peut faire basculer la vie du club et de ses salariés. Les explications et les erreurs n’ont donc plus leurs places. L’arbitre doit encore trouver la sienne.

L'arbitre Laurent Cardona
L'arbitre Laurent Cardona

La mutation de la critique et ses conséquences

La critique est devenue une constante et elle légitime tous les excès. Du sous-entendu de tricherie à l’insulte pure et simple. Illustration avec quelques cas totalement extrêmes mais surtout avec certains comportement aujourd'hui tolérés. Pas un coup de sifflet n’est donné sans son traditionnel cortège de bras au ciel. Pas une décision sans discussion. Pas une faute sans appeler à la sanction supplémentaire, sans réclamer le carton, sans hurler à l’injustice.

Silvère Tian raccompagné par des stadiers à la fin de la rencontre
Silvère Tian raccompagné par des stadiers à la fin de la rencontre

Si le législateur n’est pas parfait, si toutes les règles y compris les nouvelles connaissent des exceptions et des moyens d’en jouer, l’arbitre lui est souvent seul. Seul à prendre la décision, seul à devoir l’assumer. Véritable punching-ball médiatique, l’arbitre est peu à peu devenu la justification facile d’une contre-performance. Il devient l’objet de tous les fantasmes et l’auteur de toutes les machinations. Certes, les mauvais arbitres existent, certains déçoivent parfois. Mais à trop vouloir en faire un accusé qui doit prouver son innocence à chaque coup de sifflet, les rapports entre joueurs et arbitres sont aujourd’hui dénaturés.

Remettre en question la décision a induit une norme : celle de la contestation. Cette norme s’applique partout, y compris chez les amateurs, les jeunes et les écoles de rugby. Une génération entière élevée dans l’idée que l’arbitre est un ennemi potentiel ? Une étape de plus pour balayer la notion de plaisir, de jeu et peut-être, à moyen terme, celle de respect.

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