P. Villepreux, chapitre 2

Par Rugbyrama
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Après Daniel Constantini, Pierre Villepreux a pris la parole au colloque Sport et sciences à l'Université de Limoges.

     Le rugby s’inscrit dans une véritable culture sportive porteuse de valeurs reconnues.

      Son développement au départ dans les écoles a contribué à cette image.Très ancré localement au départ, le rugby tend à devenir mondial. Le passage au professionnalisme a définitivement placé ce sport sur d'autres bases et sur  une autre dynamique.

      L'évolution du jeu et des institutions ont mis en lumière les intérêts de s'appuyer sur des apports scientifiques variés pour faire accéder les pratiquants à une meilleure performance. Apports scientifiques qui ne peuvent que rejaillir positivement sur la formation du joueur, des cadres et générer une meilleure professionnalisation des institutions. 

      A son origine, on peut accepter que l'activité rugby produite dans les Collèges anglais  s'avère être  plus un jeu sportif qu'un sport. J'entends le mot Sport bien sûr dans sa définition actuelle, celle d'un sport collectif aujourd'hui institutionnalisé.

      Sans remonter à la soule, le rugby , ce  jeu de balle se jouait autour 1860 dans les cours de récréations et les prés jouxtant les collèges britanniques.

Les règles étaient changeantes.  Les capitaines définissaient les règles.Elles étaient gérées et modifiées au fil des rencontres et des lieux par les joueurs eux-mêmes. Les espaces étaient définis avant la rencontre. Les cibles pour "marquer" tout autant. Le nombre de joueurs et la durée de jeu étaient tout aussi variables.   Il fallait  savoir jouer avec ces aléas.

      Sans entrer dans les détails, on peut accepter :

que l'on était  dans un cadre essentiellement expérimental porteur de comportements rituels mais qui laissait place à des initiatives hors norme, compte tenu du peu de contraintes réglementaires.

L'initiative de Williams Webb Ellis est devenue célèbre et a été déterminante pour donner un autre sens au  jeu et a permis une notable évolution des règles. D'autres droits ont été donnés aux joueurs en attaque et défense .Action novatrice qui a caractérisé le jeu de rugby en opposition au "soccer".

      Compte tenu de la variabilité des pratiques rugbystiques en vigueur dans chaque collège on peut accepter que le "jeu  sans soucis de réelle performance a précédé la culture" ou en tout cas les deux  se sont mutuellement conditionnées.

      Les règles fondamentales ont fait émerger  une véritable culture spécifique porteuse de valeurs liées essentiellement à la dureté et la forme des affrontements. La place du contact et sa légitimité est déterminante car elle permet de comprendre pourquoi avant de se "sportiver", le jeu était un moyen d'éducation pour une classe sociale bien ciblée.

      La violence des affrontements se sont au fil du temps, grâce aux règles, progressivement atténuée. La sécurité et la protection des pratiquants étant aujourd'hui un devoir dès que l'on envisage de changer ou aménager une règle. Ce n'est pas par hasard que des recherches scientifiques très pointues ont été réalisées dans les fédérations pour apporter aux entraineurs des outils et contenus de formation à même de placer les joueurs en situation de sécurité sur des phases de jeu jugées dites à  risques.

Peut-on dire à cette époque que l'on était dans un désert scientifique complet ?

Certainement, cependant les différents écrits montrent que le jeu produit  donnait lieu à des observations,  donc à des expérimentations, qui  forcément aboutissaient déjà à une théorisation de la pratique.Mais comme il n'y avait pas encore de règles communes à tous, rendre opérationnel des comportements ou des organisations collectives reconnues comme efficaces étaient difficile.

      Plus tard, les clubs furent créées grâce à la propagation du jeu par les anciens élèves et se développèrent mondialement et dans l'hexagone.

      L'avènement des institutions a permis de transformer un jeu banal de lycéens en un jeu institutionnalisé régi par des règlements précis, générateur de spectacle dans un cadre socio- économique toujours grandissant.

      La dimension socio-culturelle du rugby a été la plus étudiée, elle a donné lieu très tôt à des recherches particulièrement intéressantes et différenciées sur les contenus social du rugby.

      La vocation du rugby au départ se voulait éducative, en se l'appropriant les institutions (Clubs - Fédération -  institutions régionales internationales et Etatiques) en a fait un sport.

      Les compétitions se sont multipliées en quantité et qualité. La médiatisation  toujours plus grande est devenu incontournable, elle a amené plus de visibilité et est devenu un vecteur favorable de diffusion et de communication pour les chercheurs, même si le passage, dans le temps de  l'Amateurisme pur et dur à un amateurisme qualifié de "marron" enfin   au  professionnalisme a été difficile, mais s'est  logiquement réalisé malgré le poids des résistances.

      Mais dans le cadre chronologique des différents statuts endossés par les joueurs à course vers une  performance a toujours été mieux maitrisée grâce à des apports scientifiques toujours plus nombreux et pertinents.

      Il faut noter que cette course vers une meilleure performance n'a pas remis en cause, et c'est heureux, la dimension éducative de départ.

 Les exigences demandées en terme de formation du joueur sont devenues sans cesse de plus en plus importantes :

Plus d'entraînements, plus de compétitions, plus de... 

      L'évolution du jeu et des institutions ont permis à la recherche scientifique de trouver sa place au sein des universités et des fédérations, (création en 2000 à la FFR de la cellule recherche dirigée par Daniel Bouthier).

      Cette  implication scientifique de plus en plus grande a touché, nous l'avons dit, la formation du joueur des cadres et, par voie de  conséquence, a amené les institutions à accélérer leur professionnalisation.

      La Recherche en rugby touche donc aujourd'hui toutes les dimensions de la performance et intéresse tous les domaines. Tous les événements majeurs sont porteurs et utilisés et source d'avancée.

      Innovations scientifiques -  innovations de terrain  dans un cadre qui associe la théorie et la pratique, dans un "va et vient" permanent

 Mais… à chaque fois beaucoup de résistances sont apparues et ont gêné  la vitesse d'évolution du jeu.  Trop théoriser sur le jeu dérangeait. Le discours scientifique pas accessible à tous a toujours d'ailleurs encore du mal à passer.

      Nous n'allons pas évoquer la place prise et l'intérêt  de  tous les travaux de recherches réalisés dans tous les domaines de la performance en rugby

      Cependant dans les années 65 à 80 , face à la défiance des institutions, je me dois d'évoquer l'importance  et le rôle majeur,  joué en France dans la période pré- professionnalisation par les professeurs d'EPS qui proposèrent une méthodologie d'enseignement du jeu différente de celle en vigueur dans la formation fédérale.

      Leur travail en terme de  "recherche action" qui  s'ensuivit  a surtout touché le jeu, ses caractéristiques tactiques et techniques, physiques et  a développé un  processus de formation du joueur  basé, non pas sur l'acquisition par répétition de compétences techniques  et de stratégies collectives mais bien sur la théorisation d'une démarche de formation  sortant des conceptions classiques ( René Deleplace,  en partant d'une analyse systémique du jeu en sera le principal artisan).

      Pour faire court il s'agissait d'analyser la dialectique existant entre les rapports de force attaque défense :

      - Les phases de mouvement et l'alternance pertinentes des formes devenant premières ;

      - les phases d'arrêt du mouvement devenant du même coup  secondes, pas pour autant secondaires

      -Le contexte momentané du jeu détermine les options décisionnelles du joueur qui dans cette conception agit en toute liberté et il n'est pas question de laisser quelqu'un  décider à sa place.

      Quand on entraîne le plus haut niveau, on s'aperçoit que  quand le joueur est soumis et se soumet à des schémas, il est peu enclin à prendre des initiatives. On brade la créativité.

      La recherche rugbystique de  cette période a été axée  sur une analyse qualitative du jeu (justesse des choix et efficacité). Logiquement, cette dynamique a entraîné d'autres recherches dans des domaines touchant la préparation physique, la dimension psychologique etc. Aujourd'hui la préparation mentale.

      Les analyses statistiques sont un support déterminant pour cette évolution :

-nombres et de pourcentage,  de ballons gagnés, de passes, de rucks , de mêlées etc.

      Mais personnellement, ce mode d'analyse m'inquiète un peu ; pas le  processus, mais l'utilisation qui en est faite.

      Ce type d'analyse, très analytique  conduit à des effets pervers qui influencent  sur le joueur en jeu et l'entraineur dans les contenus d'entraînement proposés. Ces seules  analyses quantitatives cachent  une analyse majeure, celle qui prend en compte le jeu dans sa totalité et qui s'attachent au  "pourquoi de l'action" et non pas au "seul comment", même si  les deux types d'analyses  se doivent bien sûr d'être complémentaires.

      Aborder scientifiquement une activité veut aussi dire savoir cerner les phénomènes essentiels à étudier.

      Il y a encore beaucoup de place pour la  recherche en rugby. Mais  il s'agit actuellement dans l'évolution du jeu  de ne pas oublier d'approfondir toujours  plus le domaine des réalisations tactiques qui prennent en comptent l'activité décisionnelle du joueur, mais de ne pas davantage oublier de réfléchir sur l'influence des modifications réglementaires et  sur les interprétations arbitrales que ces modifications provoquent  

Conclusion

Aujourd'hui le joueur est propulsé dans des programmes de travail d'entrainement  qui répondent certes à des besoins mais aussi  surtout  à des modes où l'on oublie de favoriser la construction  du joueur dans le cadre d'acquisition de compétences qui prend en compte ce qu'il est hic et nunc  dans sa totalité. 

      La pratique d'entrainement est de plus en plus confiée à des experts. On en oublie, me semble-t-il, de donner, du moins de conserver, à la formation tactique et technique la place qu'il convient, Pourtant, elle seule est à même de conserver les motivations utiles et à ce titre elle devient productive.

      Je ne peux que rejoindre Daniel dans sa conclusion

"Il faut que le binôme de base : Joueur-Entraîneur ait la même perception des objectifs poursuivis et la même compréhension des moyens mis à leur disposition pour devenir meilleurs".

      Cela passe par du partage et par l'utilisation pertinente des apports scientifiques.

Cette petite ingérence et survol dans l'histoire du jeu, des règles et des institutions nous permet d'apprécier que le cadre de plus en plus exigeant de la performance ne peut se  passer de mobiliser les compétences scientifiques et para scientifiques .Il est du devoir des institutions de favoriser la recherche. Les apports scientifiques sont indispensables pour préserver les valeurs  essentielles du rugby et produire des effets sains et majorants sur la performance en rugby.

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