La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez la chronique de l'ancien entraîneur du XV de France Pierre Villepreux. Cette semaine, il revient sur un document néo-zélandais concernant l'enseignement des sports collectifs, et analyse notamment la différence avec la formation française des jeunes sportifs.

Je viens de recevoir, transmis par un ami anglais, un document concernant l’enseignement des sports collectifs. Ce document provient de l’institut "Sport and recreation" en Nouvelle-Zélande. Cette réflexion de 12 pages invite à approcher un concept de formation qui touche les formateurs et les formés. Plutôt intéressant quand la dernière victoire des Blacks et la manière pour y parvenir interpelle et nous amène à nous pencher sur ce que l’on fait de plus ou de différent en Nouvelle-Zélande et en conséquence, ce que l’on ne fait pas, ou, que l’on ne fait plus en France pour qu’en bout de chaîne on crée ce type de joueurs.

C’est dans la continuité de la formation du jeune à l’adulte et du débutant au joueur du plus haut niveau dans un sport, que se développe et se construit (l’auteur) "le mouvement humain qui n’est jamais statique ni robotique mais qui est la conséquence d’une réponse intelligente, créative adaptée et flexible". Il considère que "les meilleurs athlètes en sport collectif sont ceux qui sont capables de prendre les bonnes décisions face à la variabilité des situations rencontrées ". Pour faire court, il faut les former en développant d’abord et prioritairement leur sens du jeu ("game sens ").

On peut y lire entre autres :

- "Que les traditionnels modèles de formation et d’entraînement qui privilégient la seule répétition ne correspondent plus et doivent être modifiés pour apporter aux athlètes autonomie, liberté et responsabilité dans la gestion de leur performance et de leurs actions".

- La force intrinsèque du sport, c’est d’apporter à ceux qui le pratiquent "du plaisir, c’est la première motivation et elle est essentielle. Les adultes structurent l’activité sportive beaucoup trop vite à des fins de résultats immédiats".

- " La tendance c’est de demander aux athlètes de réaliser, à l’identique du modèle, les mêmes tâches, mais quand on apprend, pour les uns et les autres, rien n’est identique, puisque l’appropriation d’un savoir passe par le sens et il peut prendre une forme différente selon les individus".

- " Pour leur donner les moyens d’accéder à ce sens, le rôle de l’éducateur ou de l’entraîneur n’est plus dans la manipulation ni dans la contrainte, mais bien dans la facilité et l’assistance en partant de ce que les athlètes savent faire tant individuellement que collectivement".

- " Le jeu dans sa totalité reste la valeur et le support essentiel de la formation, le travail des skills en est la conséquence".

- Il s’agit "d’apprendre dans le contexte, celui du jeu et de sa réalité et ainsi, les décisions prises appartiennent aux athlètes et non pas aux entraîneurs".

- "L’athlète apprend en jouant, en se confrontant aux problèmes rencontrés. C’est l’évaluation de la bonne ou mauvaise réalisation qui guidera l’entraîneur dans le choix d’exercices facilitant la compréhension des problèmes tactiques, dans la complexité du jeu et si quand c’est nécessaire l’acquisition de skills".

- "Pour les entraîneurs, permettre aux athlètes d’apprendre et de faciliter cet apprentissage relève de s’engager dans une autre conception de la formation s'ils veulent les amener à toujours plus de responsabilités et d’initiatives pertinentes en jeu".

- "Les raisons de faire apprendre dans la réalité du jeu et non de manière analytique, permet aux athlètes de se construire effectivement à partir d’un vécu adapté à leurs capacités momentanées, de conserver les motivations utiles pour améliorer leur activité motrice".

- " En situation de jeu, c’est l’athlète et non pas l’entraîneur qui doit résoudre les problèmes rencontrés. Apprendre en jouant, permet de mettre en œuvre skills et techniques dans le contexte réel du jeu et non pas se séparer de celui-ci. Apprendre dans la réalité du jeu développe la compréhension et procure des opportunités pour mettre en pratique et sous pression les skills et les techniques adaptées".

- "Quand l’athlète travaille, sorti du contexte de jeu, et que l’entraîneur lui dit comment faire et où aller, il occulte la perception de la situation et le processus mental de décision qui l’accompagne… Dans le contexte du jeu, il donne du sens à ce qui se passe grâce aussi à une meilleure et croissante auto-évaluation de ce qu’il réalise" .

- " Ce n’est pas une démarche de travail facile et les entraîneurs doivent former et encourager les athlètes à développer cette compréhension aussi en acceptant les erreurs qui sont indispensables pour gagner en autonomie et confiance".

- " Quand les athlètes sont dépendants de l’entraîneur et joue par ordre, il peut y avoir une augmentation de stress puisqu'il faut réaliser exactement ce qui est demandé. Dans ce cas, ils perdent en lucidité et ne prennent pas les bonnes décisions. Quand, en revanche, on développe la compréhension du jeu, la production devient celle des joueurs et de leur libre initiative et non pas la copie robotisée de ce que dit l’entraîneur."

Il ne s’agit bien sûr que d’une synthèse mais le concept de formation ne me semble pas être en contradiction avec la démarche d’enseignement qui est celle véhiculée en France dans les sports collectifs depuis de nombreuses années. Je pense que l’on a dans ce domaine même un peu d’avance. Je ne sais pas si cette démarche est celle que suivent pour le rugby les entraîneurs néo-zélandais, mais le fait est que ce pays produit à chaque génération, des joueurs d’exception qui font rêver. Dans l’ordre : leur perception et leur analyse du jeu situationnel, la représentation mentale qu’ils ont de cette situation et les solutions motrices, donc aussi au final, et pas en amont, les habiletés techniques utilisées sont souvent au top.

Pour qu’il en soit ainsi et que ces génies du jeu existent, il faut comme c’est le cas en Nouvelle-Zélande, dans la formation initiale que les plus jeunes passent d’un apprentissage instinctif et intuitif à un apprentissage de plus en plus conscient. La liberté d’expression qui est alors donnée à la pratique est déterminante puisque ce sont les résultats des initiatives prises en terme de réussite et d’échec qui permettront aux jeunes joueurs de s’auto-construire.

C’est ce qui se passe en Nouvelle-Zélande, sans enseignant, tous les jours à l’école parce que les structures existent et que la visibilité du rugby dans ce pays suffit à engendrer cette pratique libre. Celle-ci apporte aux jeunes pratiquants un lot de perceptions-sensations qui seront particulièrement utiles dans la construction future du joueur.

Si l’activité rugbystique, par la suite, est en plus dispensée selon les principes évoqués, l’apprentissage n’en devient pas pour autant directif mais régulateur de conduites et de comportements de plus en plus conscients. Cette base de formation est essentielle surtout si elle s’effectue conjointement avec la pratique d’autres activitées. Demandons à tous ces génies comment ils ont effectué leur premier pas, on y verra que la part faite au jeu libre pour le seul plaisir de jouer est loin d’être négligeable et réinvestissable dans le jeu de haut niveau.

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