La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez la chronique de l'ancien entraîneur du XV de France Pierre Villepreux. Cette semaine, il revient sur la lourde défaite du XV de France face aux All Blacks (39-12), samedi à Marseille. Il analyse notamment le jeu déployé par les Néo-Zélandais.

Il s’agit bien de culture, je parle de celle du jeu, celle des traditions que les Néo-zélandais entretiennent depuis que le rugby existe dans leur pays. Un jeu placé sur des exigences qualitatives plutôt que de se satisfaire des résultats et des enjeux qu’ils drainent. Cet état d’esprit perdure dans les bonnes et les mauvaises périodes. Victoires ou défaites ils recherchent sans cesse l’innovant, le créatif, ne pleurnichent pas sur l’évolution des règles et les utilisent comme ressources. Le défi, celui d’aller à la quête du meilleur jeu, transparaît dans tous les discours, ceux des joueurs comme celui des staffs. A Marseille, face aux Français, qui ponctuellement leur font bien des misères, ils ont su dépasser l’enjeu d’un match pour retrouver leur style et l’esprit qui va avec.

Leur capacité à déplacer le combat dans des espaces moins encombrés, là où il est plus facile d’avancer, s’est manifesté d’entrée de jeu. En délaissant la fameuse occupation du terrain et en défiant leurs adversaires balle en main ils surent créer l’avancée suffisante pour que le rapport de force d'attaque-défense leur soit, dans les échanges successifs, de plus en plus favorable grâce aussi à l’omniprésence du soutien. Cette disponibilité à assurer un soutien réactif aux mouvements successifs quelque soit la forme de déplacement du ballon, au large par passes latérales ou dans un jeu pénétrant dans l’axe, est bien une des raisons du succès de leur jeu. S’il semble qu’il y ait autour du ballon toujours plus d’attaquants disponibles que de défenseurs, c’est aussi que les courses de soutien des uns, les plus proches, ceux directement impliqués dans la vie du ballon, et des autres, ceux plus ou moins éloignés, sont dans la continuité adaptées. Chacun anticipe le jeu successif en déduisant, où ils vont être ou devenir utiles, compte tenu de la fluctuation de la réaction défensive.

Le jeu de passe - soutien autour du ballon tel qu’il a été réalisé par les Néo-Zélandais, n’a de sens que si on le resitue dans la compréhension du "mouvement général du jeu". Celui-ci inclut le "mouvement du ballon et par rapport à celui-ci le mouvement correspondant des utilisateurs et des opposants." C’est en fonction de la bonne "saisie en plein mouvement " de la symétrie (rapport de force équilibré) ou dissymétrie (rapport de force déséquilibré) dans ce mouvement général, que la distribution offensive (soutien), comme défensive d’ailleurs (organisation en rideaux) va s’organiser dans le désordre existant; avec pour conséquence le choix, pour les attaquants, de continuer à la main ou au pied, et le choix, pour les défenseurs, de réagir en conséquence en se distribuant adéquatement en nombre et placement dans les rideaux et couvertures pour intervenir par le placage ou pour récupérer le ballon botté.

L’action offensive incluant tout le collectif comme l’action collective défensive ne peuvent pas être séparées. Elles sont des composantes du mouvement général qui n’ont de sens que dans le cadre des interractions qui lient le jeu momentané et évolutif des deux équipes. C’est dans cette maîtrise du mouvement général tant en attaque qu’en défense que les All Blacks ont dominé les tricolores. Leur performance dans les phases statiques devenant ainsi la conséquence de la tactique de jeu choisie et non le point de départ.

Il est dommage que l’on ne stigmatise pas, sinon l’abandon, du moins le peu de travail fait en club sur le mouvement général du jeu. Il reste un domaine majeur de progression là où s’exprime le jeu dans toute sa complexité. Son exigence dans le travail d’entraînement reste totalement d’actualité et c’est dommage que ce soit une défaite qui le remette au goût du jour.

La France a surtout été battue dans la composante défense justement pour ne pas avoir su et pu faire face aux mouvements offensifs de toutes sortes, à la main, proposés. Les bleus ont failli dans la distribution, en nombre dans le premier rideau, ce qui expliqua la lenteur de la montée et les espaces concédés. Celui-ci, une fois franchi, ce fut souvent le cas, laissa la place au déferlement que l’on sait. Ce fut très souvent le cas quand on rendit au pied le ballon en cherchant l’occupation du terrain.

Le principe organisant de manière dynamique la circulation défensive et ce ,en référence au jeu offensif des attaquants, a péché. Le jeu en avançant "debout" des Blacks en fut facilité et quand ils ne pouvaient pas faire autrement que de passer par le sol, la vitesse de libération du ballon préservait, voire intensifiait le déséquilibre, non pas du fait d’une meilleure organisation, ni d’un plus grand engagement, mais grâce à une présence immédiatement réactive du soutien proche. Derrière quoi, il suffisait de faire le bon choix en allant jouer là où c’était facile. Preuve que le combat ne se résume pas à la domination dans le corps à corps ni le rentre dedans.

Le combat, les blacks l’ont mené dans les espaces, ce qui ne les a pas empêché de faire face dans les phases d’affrontements organisées ou non. Dans la continuité d’un mouvement collectif parti de leur camp, ils marquèrent en choisissant avec pertinence de pousser sur la mêlée concédée aux Français à 5 mètres de leur ligne de but. Intégrer mentalement l’intérêt, de lier, dans la même dynamique, jeu en mouvement qui avance et avancer dans la phase statique successive, me parait être justement particulièrement représentatif de ce qui s’appelle "l’intelligence" dans le combat en rugby.

L’envie et l’engagement des français ont été bien présents tout au long du match. Peu être que la longue percée de Jauzion en début de match aurait mérité d’aller au bout et aurait permis aux bleus de conserver par la suite la cohésion indispensable tant en attaque qu’en défense pour exister devant de tels adversaires. Cette cohésion s’est effritée progressivement, au fil du match et de l’évolution du score, même parfois de manière inquiétante,

Ce n’est pas un arrêt, mais simplement une mise à jour pour les tricolores.

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