La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez la chronique de l'ancien entraîneur du XV de France Pierre Villepreux. Cette semaine, il revient sur la victoire des Bleus face à l'Afrique du Sud vendredi dernier, et plus particulièrement sur l'action qui a amené l'essai de Vincent Clerc.

Après cette brillante et encourageante victoire, si j’avais à choisir une action de jeu caractérisant dans ce match "l’excellence du jeu français", c’est bien celle qui conduit à l’essai de Vincent Clerc. D’abord, parce que cette séquence correspond à ce que souhaitent tous les entraîneurs du monde, à savoir, dans la continuité du jeu et du principe d’avancée que celle-ci sous-entend, la gestion tactiquement juste des situations rencontrées toutes différentes, à la fois par les différents porteurs de balles et par leurs partenaires. Ceci implique que les formes de jeu qui se sont développées et l’éventuelle nécessité de leur alternance sont bien la conséquence de la perception par tous du déséquilibre existant dans le rapport de force attaque-défense. Déséquilibre quand il est acquis qu’il s’agit de préserver, autant que faire se peut, en fonction de la réaction défensive, et des aléas rencontrés.

Il ne s’agit pas de reproduire des formes mais pour tous de s’adapter au développement des problèmes changeants rencontrés. Dans ce cadre, ce que l’on appelle liberté d’initiative prend tout son sens puisque la décision du porteur de balle ou celle d’un partenaire peut transformer à tous moments son engagement dans la forme. Il s’agira bien, pour tous, de comprendre comment évolue, va évoluer le rapport de force et aller se placer en conséquence pour conserver, préserver, mieux améliorer la situation favorable existante. Mais pour qu’il en soit ainsi et que la compréhension de ce qui se passe soit la même pour tous, il faut agir dans le cadre d’un référentiel qui guidera les décisions de tous et que l’information que procure l’évolution de la défense soit bien la même pour tous, jeu de lecture qui, même à ce niveau, se doit d’être encore développé.

Dans cette séquence, la transformation des formes s’est réalisée dans une continuité d’où a été exclu le jeu au pied. Il n’avait pas de pertinence, puisque la vitesse de libération du ballon -quand le jeu de passe devenait impossible et qu’intervenait un plaquage - était "optimale" pour relancer le mouvement sous une autre forme et ceci avant que la défense ait pu se réorganiser et rééquilibrer le rapport de force .

Les Springboks présentèrent tout au long de l’enchaînement de la séquence une faiblesse dans les espaces défensifs dans lesquelles se sont engagés avec opportunité les Tricolores. L’efficacité du jeu groupé pénétrant du départ explique, dans le final de la séquence, à la fois la pertinence du jeu déployé et le choix du "jeu dans le même sens". Les prises de balles "à hauteur" des joueurs du déployé intensifièrent chaque fois le déséquilibre et permirent le surnombre que l’on sait. Peut-être qu’avec Codorniou à la place de David, dans la même situation, l’essai aurait été marque avant. Mais la capacité du néo-Toulousain à avancer au contact, la qualité de sa libération de balle et l’efficacité du soutien proche pour aider à cette libération permirent, dans la foulée, l’enchaînement successif, l’intelligence de la passe volleyée de Trinh-Duc permit même un rebond qui ne pouvait être que favorable à Clerc.

Quand le jeu est ainsi développé, il ne s’agit de "ba-balle" comme le disent les détracteurs d’un jeu qui refusent que le rugby puisse être jouer intelligemment. Le combat de l’avancée en rugby n’est pas seulement celui qui serait réservé à des joueurs physiquement hors norme comme ont été présentés les Sud-Africains et en conséquence, pas à d’autres.

J’espère, dans ce match que les Français se sont appropriés tout ou partie du mental incontournable qu’il faut avoir à ce niveau quels que soient les adversaires et/ou l’événement et qui semble parfois leur faire défaut. Par mental, j’entends celui qui est nécessaire pour s’engager dans tous les combats que génère le jeu, domaine mental où rien ne peut être concédé si l’on veut acquérir autonomie, responsabilité et solidarité. Ce mental-là ne s’acquiert pas par artifice en se mobilisant sur l’anecdotique, sur ce qui n’est pas essentiel, sinon il n’est pas renouvelable. Dans ce match en attaque comme en défense, l’engagement de tous fut exemplaire, ce qui a été traduit par une avancée continuelle, ce qui explique aussi le pourquoi des turn-overs et pénalités concédés par des Boks devenus soudainement physiquement "jouables" et tactiquement sans ressources, en mal de solutions.

Cette séquence de jeu n’a pas été la seule qu’il faudrait extraire mais elle est plus significative collectivement de la maîtrise du jeu que Marc Lievremont et son staff veulent mettre en place (si j’ai bien tout compris).

Il n’est pas dans mes habitudes de valoriser des joueurs mais j’ai particulièrement bien apprécié l’intelligence du jeu et la gestion tactique de Dupuy, la performance de Barcella, dans son rôle bien sûr de pilier mais tout autant sa prestation balle en main, ce qui n’est donc pas antinomique. Collectivement et ce n’était pas habituel, la maîtrise par ce collectif du jeu groupé pénétrant, pas celui des mauls que je n’appelle pas du même nom, mais celui qui permet d’avancer par le jeu de passe et relais successifs de manière la plus rectiligne dans l’axe profond. Cette forme qui exprime le mieux la logique tactique du rugby avancer–soutenir, sur laquelle tout le reste du jeu (les autres formes y compris les statiques) vient se greffer et lui donne tout son sens.

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