La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Jeudi 14 juin

S'il n'avait pas signé à Agen, il ne serait, sans doute, jamais revenu à Tombeboeuf ; ce matin, l'orage avait éclaté de bonne heure et, quand ils ont pris la route, le ciel bleu avait repris ses prérogatives de juin : Foulayronnes, Castelmoron, une partie de saute-mouton à la gersoise, des vergers et des pruneaux, des moulins à vent et le Lot à traverser... Il retrouvait le village des vacances de son enfance, à la fois celui des parties de cache-cache, des grandes explorations et des orientations délicieusement perdues... mais aussi celui des cahiers de devoirs de vacances, de quelques après-midi ennuyeuses et pire, des leçons de grammaire. Sa grand-mère, institutrice, était très à cheval sur cette discipline : cette rigueur n'avait pas été pour rien dans son penchant vers l'anarchisme... horreur de la ceinture, de la règle du hors-jeu, de l'alcootest, de la hiérarchie, des arbitres, de l'uniforme, de fermer une porte ou une voiture à clef...!

La maison avait été rachetée à l'ensemble de la famille par un grand-oncle parti faire fortune à Paris - les mauvaises langues supputaient le marché noir - et des travaux onéreux avaient, paraît-il, transformé la résidence. Pour calmer les battements de son c&oeligur, il m'avait demandé de se garer près de la salle de basket, au sud du village. Nous avons emprunté l'étroit chemin blanc contournant les nouvelles constructions avant de découvrir, caché au sein des lauriers, le petit "nid de verdure". Il eut du mal à taire son émotion : la vieille bâtisse et la grange attenante s'étaient transformées en une élégante maison de pierre bien ordonnancée, cachet délicieusement suranné, jardin ordonné, inévitable piscine, toiture harmonieuse, label parisien et chic de province. Dans son for intérieur, il lui fallut bien admettre que le tonton et ses héritiers ne manquaient pas de goût : on pouvait donc avoir du fric et de la classe ! Il en aurait pleuré : amer, il se contenta de lâcher : "les roses de Mamette étaient plus belles" . Il évoqua les courses dans le bosquet, les jeux dans les grands arbres dont les ombres lui faisaient peur la nuit, les chapardages des mûres et des figues avec ses chenapans de cousins, les cueillettes de cerises...

"Henry, si tu veux construire un bon pack, il te faut des cueilleurs de cerises et des ramasseurs de fraises"... " Pigeon" était mon "conseiller technique" au Lombez-Samatan Club. Ce pilier, dont on se plaisait à lui faire raconter sa carrière éphémère - la guerre était arrivée - dans l'équipe de Simorre entraînée par Marcel Laurent, instituteur et international, ce pilier était le "frusquier" du club quand j'en ai pris l'entraînement en 1975. Retraité de l'Equipement ce qui lui valait quelques sarcasmes, il avait aussi la mission d'ouvrir le Café des Sports, chaque matin, en attendant le lever du patron, demi de mêlée ou trois-quarts centre du LSC. A ce titre, c'est lui qui m'accueillait pour le petit noir avant que je ne gagne le collège et nous avions donc, quotidiennement, de longues discussions sur l'équipe : les langues acérées racontaient qu'il avait une grosse influence sur les compositions ce qui incitait les joueurs à faire preuve de beaucoup d'égards envers lui. Pris par la limite d'âge, des problèmes de vue et d'autres ennuis de santé, "Pigeon" dut se résoudre à ne plus venir en déplacement : raison supplémentaire pour m'attendre de langue encore plus ferme chaque lundi matin ; je lui contais les détails de match de la veille et je devais lui fournir le descriptif des prestations individuelles.

Vers 10 heures, je savais que les supporters venus au marché se pressaient autour de lui et devant une cour attentive et respectueuse - une bonne dizaine de personnes ! - il racontait une rencontre qu'il n'avait jamais vue mais qu'il avait déjà rêvée avant même que je ne lui ai présentée ! En 1998, je suis parti à Auch... sans oser lui dire !

Ses copains m'ont rapporté qu'il n'avait plus jamais parlé de rugby : un an plus tard, je l'accompagnais au cimetière de Lombez.

Il a poussé la grille en fer du cimetière de Tombeboeuf, un cimetière un peu perdu à l'ouest du clocher-mur de l'église. Il a cherché la tombe de son grand-père que la rigueur de l'époque avait rendu, lui aussi, un peu "anar". En souriant il m'a conté qu'en 1968, il lui avait dit qu'il avait, au lendemain de la guerre, enterré, derrière la grange, deux fusils et que, s'il était nécessaire, "on pourrait s'en servir !".

Le restaurant de Tombeboeuf était comble : patron avenant, service rapide, deux supporters fiers de s'afficher avec le tee-shirt du SUA... quand même !

L'après-midi, il a fallu revenir, un moment, auprès de la maison.

Au retour, nous avons fait une halte au moulin de Montpezat : le panorama était presque aussi beau que celui du chêne de Theux !

Vendredi 15 juin

Trois rendez-vous importants aujourd'hui : à 9 heures, arrive KM, 45 sélections chez les blacks, deux demi-finales de la Coupe du Monde, un titre super 12 avec les Auckland Blues, capitaine de la Nouvelle Zélande, meilleur marqueur d'essais en tant que pilier sous le maillot noir... deux saisons blanches au CO et au SUA ! Il y a 15 jours, il nous a affirmé son désir de ne pas évoluer en D2 et son envie d'aller opérer en TOP 14. Comme les propositions ne se sont, sans doute, pas multipliées, l'entrevue est claire : de mon côté je veux le conserver, je veux l'aider à prendre une revanche sur ceux qui le dénigrent, je veux être son coach, lui rendre son honneur, le préparer à une carrière d'entraîneur, m'appuyer sur lui pour faire avancer le pack et pour faire progresser les piliers du Centre de Formation. Est-il perméable à ce discours ? L'envie de participer au projet de la remontée sera-t-elle plus importante que les restrictions financières ?

A midi, AM est devant moi avec son agent, son grand-père, mon ami. Le lendemain de la défaite contre le Stade Français, il a gagné la Nouvelle-Zélande et, à peine réveillé, à la descente de l'avion, les entraîneurs du XV de France lui ont, aussitôt, mis la pression : "une saison en D2 et c'est la fin des ambitions nationales !" La fin d'une carrière à 20 ans !!! Bien sûr, l'Usap est tête de liste dans les clubs solliciteurs. J'ai envie de parler de "charognards" et puis je me dis qu'en fait, c'est normal et que peut-être, je ferais la même chose si j'occupais la place... peut-être ? Je connais mon Arnaud ; quand il avait annoncé son départ d'Auch pour Agen, lors de nos derniers matchs, je jouais sur la corde sensible : "de toute façon, toi, tu n'es déjà plus avec nous, tu es en TOP 14." Ses yeux s'enrageaient et je plaignais son vis-à-vis...

"De toute façon, tu as signé un contrat et tu dois le respecter... Bien sûr tu peux aussi te mettre en congé, simuler une blessure et... te reposer !" Le bison prend un coup de sang ; dans son regard, je sens l'envie de m'envoyer l'assiette sur la tête : "je vais leur montrer aux centres de Pro D2 qui est le patron !". C'est beau d'être "clair".

Dans l'après-midi c'est Manu qui a demandé une entrevue : lui aussi, juste 21 ans et je crois beaucoup en ce jeune tongien qui a mis le rugby en premier dans sa vie. C'est le Stade Toulousain qui l'approche : jouer les premiers rôles dans le championnat, opérer auprès de Jauzion, Heymans, Poitreneaud, rejoindre son compatriote Finau Maka, bénéficier d'un salaire plus substantiel etc... la tête de l'îlien ne tourne plus rond.

J'argumente : "Tu n'as que 20 ans... les recruteurs dont le Stade seront encore plus nombreux à l'été 2008... Arnaud et Sylvain sont aussi très bons... François et Jérôme sauront te mettre en valeur... Guillaume te fera progresser etc..." Je lui ai dit que je croyais en lui, qu'il devait refuser toute sélection avec les tongiens afin que, dans deux ans, double nationalité acquise, il puisse postuler pour la France : je ne lui mens pas, j'y crois : rappelez-moi dans deux ans !

En soirée, deux amis m'ont conduit dans un restaurant du Tarn-et-Garonne près d'Auvillar, cette superbe bastide. Ils sont très proches du SUA et ils me content leurs soucis ; c'est une belle soirée à parler rugby et des hommes. Au retour, ils veulent me montrer Agen de nuit : les boulevards Carnot et de la République : les deux artères essentielles !

Samedi 16 juin

Tournoi de rugby à toucher organisé par l'équipe du dimanche matin : des formations de six joueurs plus les remplaçants : les cadets, les électriciens, la mairie, les lions, Montestruc, l'entreprise Pages et nous. C'est sympa. Comme d'habitude Gégé sert de bouc émissaire, Elie s'excite, Bernard est toujours hors-jeu et en l'absence de Sébastien, c'est moi qui suis le plus maladroit. Montestruc superbement conduit par Jacques gagne le tournoi : c'est hyper cool ! Richard m'apporte fiérement la photo dédicacée par les espoirs ; il sait le plaisir qu'il me donne.

Ce soir, Béatrice Uria-Monzon parraine le festival Eclats de Voix. Les quotidiens d'Auch font la Une avec elle : la mezzo soprano va séduire, dans ce théâtre d'Auch au charme un peu désuet, tous les mélomanes de la cité. A ses côtés le comédien Michel Fau - une superbe "Nuit de Décembre" - et le pianiste Jean-Marc Bourger - Liszt et Chopin - : les nuits d'été de Berlioz ; la fierté de me sentir compatriote de Béa, la belle agenaise !

La place de l'Hôtel de Ville rayonne ce soir. Patrick de Chiree, l'organisateur du festival, mérite les congratulations de ses concitoyens ! La cathédrale resplendit !

Dimanche 17 juin

Paul Lignon est trop petit pour contenir la ferveur des supporters cantalous et Blagnac est trop fatigué par sa demi-finale pour inquiéter le favori : des déjà pro contre des amateurs ! Trois essais limpides avec le pied et les jambes d'un excellent arrière venu d'Australie. Je souris car le numéro neuf d'Aurillac lance en touches et je me permets de souligner qu'Auch en Pro D2, Auch en espoirs - Pro D1 et Pro D2 confondues - Aurillac en Fédérale 1 sont champions de France avec le demi de mêlée lanceur ! Thierry Peuchlestrade a poursuivi dans la voie de son oncle Michel ; demain je lirai, dans la presse spécialisée, que mon fils ne voudra pas perpétuer les méthodes de son père : je souris d'autant plus qu'il se faisait une joie de tenir ce rôle de lanceur au sein du LSC !

Un jour, dans ces colonnes, quand j'aurai la tête moins prise, je vous dirai pourquoi je tiens à ce qui est devenu une originalité. En attendant, les talonneurs et les demis de mêlée agenais s'inquiètent pour leur avenir : serai-je capable de mettre longtemps encore beaucoup d'eau dans mon vin !

La marée bleue s'est calmée ; pas de quoi crier victoire : cela me rappelle ces matchs de rugby où vous prenez 40 points en une mi-temps et où vous revenez au score en marquant une vingtaine parce que le vainqueur s'est relâché ! Dans le Gers, je suis particulièrement heureux de la victoire de Gisèle Biemouret, l'épouse de l'international gersois et... agenais et puis, bien que n'étant pas de son bord, je félicite Jean Lassalle de son succès en Béarn ; je le fais d'autant plus que dans son discours d'après victoire, il n'a eu de cesse de répéter qu'il avait abordé ce second tour où il était promis à la défaite comme s'il s'était agi d'un match de rugby ; j'espère que son fils Thibault, pensionnaire du Centre de Formation du SUA a le même tempérament !

Laroque Timbaut n'a pas pu sauver l'honneur du Lot-et-Garonne, battu en finale par Carbonne ; très belle saison quand même pour les hommes du Président Mancell ; je serai chez eux, le 30 juin, pour leur tournoi de rugby à 7 avant de me rendre à l'Isle Jourdain qui va débuter les festivités commémorant le centenaire de l'USL : beaucoup d'années et d'amis à revoir !

PS :

- 1 - Ce matin (mardi, NDLR), Bernard LAPORTE devient de plus en plus le favori pour devenir, après la Coupe du Monde, secrétaire d'Etat aux sports !

Le rugby mènerait-il à tout... à condition d'en sortir ! Souhaitons qu'il se concentre sur le premier objectif : à chaque jour, sa peine.

- 2 - Céline Maria, éditions Les Talents Hauts, m'adresse les épreuves du futur livre de Manu Causse "Fair Play".

Manu était mon jeune collègue, professeur de français, au collège Carnot. A l'occasion, il opérait au centre de la ligne d'attaque du club de Brignemont, dans le Tarn-et-Garonne, aux portes du Gers. A l'occasion, il jouait avec nous, au rugby à toucher, contre les élèves, causant le désespoir de ses magnifiques ailiers JMP et ChP car il "consommait" beaucoup de ballons. Il est déjà l'auteur de Roméo@Juliette paru dans la collection Dual. L'écriture est belle et plus efficace que son cadrage débordement... d'après Jean-Michel et Christian ! De nos jours, il opérerait chez les Gonin's Boys...à l'aile !

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