La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Jeudi 31 mai :

"En mai, fais ce qu'il te plait" et le temps est toujours morose ; coup de téléphone d'un de mes anciens joueurs "Henry, peux-tu me prendre dans ton effectif ?" Les souvenirs remontent à la surface : ce Catalan comptait parmi mes proches ; bon buteur, habile dans l'interception, courageux quand il le fallait, souvent rusé. Deux saisons convenables au FCAG ! Logiquement contacté par le TOP 16 alors que nos salaires étaient dérisoires, il file vers la Méditerranée et devient un des tous meilleurs réalisateurs de la 1ère division ; les médias le propulsent dans leurs têtes d'affiche, il prend alors la route d'un des meilleurs clubs du championnat, un des plus professionnels aussi : une seule chance et le début de l'oubli ! Retour sur une autre ville de la Méditerranée, la concurrence d'un autre buteur, la méfiance des coachs et le retour en D2... Nouveau club en D2, le 5ème en 6 ans, titulaire au départ, des mauvais résultats de l'ensemble et un poste où l'on "trinque ", le banc de touche, et plus de banc du tout !

Je ne peux l'accueillir car je suis déjà bien pourvu ; déception dans sa voix, inquiétude pour le lendemain, 30 ans et le chômage (?), des paillettes à la fédérale 1 : le rugby de maintenant les apprend-il à se retourner les manches et à s'accrocher dans la vie ? Pourtant? je pense qu'avec un coach qui lui accorde toute sa confiance, JG peut rebondir !

Dans le même ordre d'idées, je reçois un autre joueur du TOP 14 ayant signé un pré contrat pour le SUA. Son analyse de la D2 me blesse : "Ce n'est pas mon objectif... je veux être international... j'ai une carrière devant moi... ce n'est pas ma guerre !" La saison prochaine débutant le 26 octobre et s'achevant en juin, ce sera la plus courte du rugby pro : 7 mois, 30 matchs, pas le temps de respirer, de réfléchir et je lui propose la liberté à l'issue. Entre "jour de rugby" sur Canal + et un déplacement à Oyonnax, il a choisi. J'ai beau lui dire qu'il apprendra autant à Charles-Mathon qu'à Jean Bouin, il n'en a cure "ce n'est pas ma guerre !". Je lui souhaite de ne jamais connaître la guerre et d'apprendre à respecter une signature.

Vendredi 1er juin :

Le grand quotidien gersois titre : "enfin un stade !" ; la municipalité et le Conseil Général se sont donc entendus pour aménager un bien dont j'avais fustigé la vétusté ; je suis heureux que le constat que j'ai mené profite à mes successeurs... mes héritiers ! A Agen, les entretiens se poursuivent et l'ensemble des joueurs exprime la volonté de rester ensemble et de prendre leur revanche sur les déboires passés. GB sera l'entraîneur des lignes arrières : un local, ancien très bon joueur, garant d'un certain jeu dont on rêve ici, de la personnalité, des idées en place ; ça devrait bien se passer. Avec mon ami FR nous recevons les préparateurs physiques ; retour très probable de CS. Rendez-vous très positif.

En soirée, le Stade Français élimine le Biarritz Olympique ; les caméras s'attardent sur les deux coachs assis l'un au-dessous de l'autre : le premier "bouffait" son téléphone, le second impassible, à la "Herbain", mais bouillant dans son for intérieur : Au coup de sifflet, le Président vainqueur lâche sa joie comme un gamin ; curieux personnage, formidable diffuseur du rugby pro, charismatique, séducteur, responsable, lui qui n'a jamais joué du recrutement de son club "un sixième sens" chez lui, affirme son entraîneur !

Après la réception d'après match, lors du retour à l'hôtel, il chantera dans le car l'oeuvre de ses jeunes années, quand il aspirait à l'Olympia ; tous ses joueurs reprendront en coeur le refrain, non pas pour lui faire plaisir, mais pour lui montrer qu'ils l'aiment tout simplement.

Peu de Présidents peuvent se targuer d'être appréciés autant par leurs joueurs !

Samedi 2 juin :

9 heures 30, la France s'éveille tandis qu'à l'autre bout du monde, les Blacks entonnent un autre chant plus violent, plus guerrier ! Le Haka ; les yeux de Franck exorbités !

De Strasbourg - Epernay à France - Nouvelle Zélande, sans passer par la moindre sélection chez les coqs, en juniors ou en moins de 21 ans ! J'ai peur pour lui ; s'est-il préparé ? Son ventre, trop apparent, sous la tunique trop serrée, me fait craindre le pire. A la 57e, il remplace Califano, face à Hayman, le meilleur pilier droit du monde. Il va bien s'accrocher en mêlée même si je fustige toujours la raideur de ses appuis et de son dos ; j'aurais aimé aussi qu'un passe lui permette d'expérimenter sa vitesse dans le jeu courant... je souris quand il reste allongé, se plaignant de son épaule, pour récupérer un peu : ce coup-là, tous les supporters du Moulias l'attendaient en riant, à chacune de nos rencontres !

De son côté, Arnaud s'est battu comme il sait bien le faire : à l'image de toute l'équipe, il a plaqué à tours de bras - meilleur plaqueur du match ! - prêt aussi à se chamailler dans l'en-but avec les plus gros et les plus célèbres ; en attaque, peu de ballons : fébrile pour un en-avant, timide sur un espace à conquérir, efficace pour une croisée. Arnaud a été le symbole de cette équipe promise à l'abattoir et qui a surpris les Blacks par sa vaillance : je vous avoue que j'ai très peur pour nous samedi prochain.

En fin d'après-midi, l'ASM triomphe du Stade Toulousain ; j'avais donné ce dernier vainqueur et la maîtrise affichée, en première mi-temps, contre le vent, me donnait raison. Les nombreuses fautes des Auvergnats profitaient à Elissalde et à 15-7, le match semblait plié et puis... Aurélien est arrivé ! Dans le "Capitaine Conan", Bertrand Tavernier fait dire à Philippe Torreton : "Pour la guerre de 14, 8 millions de français ont été mobilisés et trois mille seulement l'ont gagné !" J'ai souvent repris cette image en rugby : c'est un formidable sport d'équipe mais sur les 22 joueurs inscrits sur la feuille de match, même si solidarité et esprit communautaires sont indispensables, c'est toujours un ou deux joueurs - certes avec l'aide des autres - qui font gagner les grandes rencontres ; la qualité de l'organisation auvergnate m'a surpris mais sans la classe de Rougerie, l'ASM repartait battu de Marseille !

De son côté, Michalak, triste et déçu a quitté le Stade Toulousain par la petite porte, sans saluer ses admirateurs ; Yannick Bru aussi : je me souviens de ce joueur du club de Masseube que j'avais repéré en benjamin et dont je voulais faire un ouvreur (!) s'il était venu jouer au Lombez-Samatan club !

Dimanche 3 juin :

Premier dimanche en Agenais et premier ciel bleu ! Petit footing autour d'Armandie : la nécessité de s'entretenir, un peu, en raison des repas copieux des derniers jours. A Auch, Rive Droite, les copains s'ébattent dans leur rugby à toucher ; je les imagine toujours aussi ardents et contestataires sur le pré, explicatif et "brancheurs" devant la bière. Comment les Agenais, si férus de beau jeu, n'ont-ils pas ce même rite de dimanche matin ?

Après-midi à Villeneuve sur Lot pour une demi finale de fédérale 2 : Valence d'Agen contre Gourdon. Correction exemplaire et victoire des premiers grâce à l'efficacité de ses buteurs et à l'admirable Sergueev inévitable dans l'alignement. Rencontre d'amis : un étudiant en Histoire de la rue Albert Lautmann longtemps entraîneur lotois et partant cet été pour diriger St Nazaire, le talonneur de mes champions de France Balandrade 93 - victoire sur les Liévremont - et futur entraîneur de Montech et puis quand il faut suivre une équipe du Tarn-et-Garonne vous ne pouvez éviter l'incontournable "Mousse" par ailleurs supporter d'Agen, encyclopédie du rugby !

PS :

Relu, avec beaucoup de plaisir, "Rien du tout", un récit de Jean-Pierre Delbouys publié, en juin 2004, aux Editions "Atlantica". Mirande - ma ville natale et ma vie de lycéen, mes premiers pas de rugbyman - est le siège de l'intrigue mais chacun peut y retrouver une cité de notre région. Une belle écriture, beaucoup de tendresse... "C'étaient les amis des temps premiers, les compagnons de ces jeux dans les peupliers du bord de la Baïse, leur Amazonie. Il avait partagé avec eux tous les possibles de l'enfance, ses tendresses et ses violences. Il avait allumé pour toujours de ces petits feux qui ne savent plus s'éteindre et auxquels, parfois, il est si bon de venir se réchauffer..." Salut aux enfants de Mirande des années 50 !

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