La chronique de H. Broncan

Par Rugbyrama
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Retrouvez chaque mercredi "Les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du FC Auch-Gers.

Jeudi 15 Mars 2007.-

L'Abbaye cistercienne de Flaran ; il me semble bien loin le temps où, enseignant tout neuf, j'y conduisait les élèves de Samatan ; par la suite, les contraintes budgétaires avaient limité les déplacements à l'autre bout du Gers : je suis, je vous l'ai déjà dit, très sensible à la Foi des Bâtisseurs, très sensible aussi à la valeur des Recueillements, même si je ne suis plus croyant. Le Gers a beaucoup de chance de posséder un tel joyau ! Autre chance, la collection Simonov qui permet de côtoyer des sculptures de Rodin et de Camille Claudel, des peintures de Monet, Forain... une esquisse de Picasso...

Midi, déjeuner "Chez Simone", à Montréal ; aux fourneaux, un cuistot de génie : MD l'ami inconditionnel de mon président BL. Ce dernier lui a demandé de me gâter particulièrement : recommandation inutile, MD est le chef d'une des meilleures tables du Département. Ajoutez l'accueil de son épouse ; sur la table, la qualité concurrence la quantité ! Sur la digestion, vous pouvez vous promener dans Larressingle, notre Carcassonne.

Le soir, départ vers Ségovie, en voiture, auprès de mon docteur et docteur du FCAG, JE, un "fidèle". Il s'est rendu célèbre en balançant son sac de médicaments dans les pieds d'un des arbitres les plus connus du Top 16, à Armandie, il y a deux ans ! En fait, un type formidable, à l'aise loin des honneurs et de la foule, ayant du mal à donner son amitié. Par contre, quand il vous l'a donnée, vous pouvez partir en guerre. Nous rejoignons l'équipe de Géorgie qui rencontre l'Espagne, samedi à Madrid... Sept heures de route, arrivée deux heures du matin dans une cité curieusement privée, Los Angeles de San Rafael, propriété d'un ancien Président du Réal ; il faut montrer patte blanche aux vigiles qui nous accompagnent parmi les résidences surveillées jusqu'aux Naïades, l'hôtel mis à la disposition des Géorgiens : un ghetto à l'envers, celui des riches !

Vendredi 16 Mars 2007.-

Riches, les Géorgiens ne le sont pas, du moins la Fédération de Rugby : Bernard Laporte peut dormir sur ses oreilles, les Irlandais et les Argentins aussi ! pas de kiné, ni de docteur spécialiste... encore moins de préparateur physique ; si les joueurs se montrent accueillants et loquaces, nous recevons un accueil plutôt froid de la part de l'encadrement : ce dernier a laissé au repos les titulaires pour expérimenter un groupe assez jeune ; il y a là des licenciés de Blois, Châteauroux, Nantes, Lille, Arras... A table, la discussion glisse sur la vie quotidienne de Tbilissi, les relations passées et actuelles avec les Russes : la France est un beau pays !

Dans ma carrière d'entraîneur, j'ai rencontré, pour la première fois, un Géorgien, à Auch, en 2001; je l'avais recruté dans un bar de Montréjeau alors qu'il jouait à St Girons : MM, un costaud d'1.90 et 130 kg ; nous nous sommes vite liés d'amitié car il partageait mes repas, sous la tribune du Moulias, dans la cantine de Momo ; il avait traversé l'Europe pour jouer en France, j'avais traversé le Gers pour entraîner Auch : nous avions tout pour nous comprendre !

Le Club avait mis à sa disposition une vieille Ford brinquebalante que j'ai vu passer entre les mains de plusieurs joueurs ; aujourd'hui, je me demande si ce n'était pas une voiture magique qui me liait à ses utilisateurs ; à mon arrivée en 1998, c'était F de F qui la conduisait : 2m07, 135 kg. Il descendait d'une vieille noblesse antérieure à la Chouannerie et son aïeule avait été guillotinée par les Bleus sous la Révolution ; elle avait été sanctifiée et lui ne manquait jamais l'office religieux du dimanche matin, dans la cathédrale d'Auch, ce qui lui valait quelques railleries de ses partenaires qui le rencontraient parfois, au petit matin, alors qu'ils terminaient leurs nuits auscitaines ; F de F se rendait également, chaque année, en pèlerinage à Rome : le Pape lui avait fait passer sa première communion ! Une après-midi, il était venu auprès de mes élèves de 3ème, au Collège de Samatan, pour une intervention sur les Chouans ; je crois bien que pour cette génération d'enfants, les Vendéens sont des extraterrestres !

Par la suite, la vielle Ford est passée sous la conduite d'un autre "monstre", un sud-africain, RP, 1m93, 140 kg, un "King Kong". Curieux personnage qui, bien sûr, ne parlait pas un mot de Français, s'exprimait mal en Anglais et se réfugiait, dès que nous l'agacions, dans l'Afrikaaner qu'il marmonnait tout seul ; je me souviens de l'éclair dans ses grands yeux bleus, lorsque je lui présentais ML, mon troisième ligne de couleur venu de Samatan ? par la suite, ils se supportèrent-

A la première séance de physique, les adducteurs de RP lâchèrent. Désorienté, désabusé, R traînait sa carcasse dans la vieille voiture, de l'appartement au stade, du stade à l'appartement ; comme il était brave, il subit rapidement les brimades de quelques dirigeants qui lui reprochaient de coûter cher et de ne pas jouer ; j'ai vu ce géant pleurer, s'enfoncer dans la déprime et puis, finalement, à la Noël, trouver un accord et repartir dans le Transvaal Nord.

La Ford trouva un nouveau chauffeur avec un pilier argentin recommandé par OH, un compatriote, international de renom qui avait fait notre bonheur, deux saisons auparavant. PM venait de Tucuman, le pays de la bajadita et des appuis inversés ; pour la Ford arriva une grosse boule d'1.70 et 130 kg ! A la déprime du dernier propriétaire, succéda la joie communicatrice du suivant : toujours le sourire, beaucoup d'humour, pilier de mêlée mais aussi de ballon ; il resta deux saisons au FCAG, fit venir sa copine Maria, eut deux enfants, gagna l'USM ; il évolue actuellement en Pro D2 et je le revois toujours avec le même plaisir.

Samedi 17 Mars 2007.-

Au début de cette saison 2001 / 2002, les amortisseurs de la Ford, de plus en plus diminués, accueillent les 130 kg de Mamuka ! Le ménage ne pourra pas fonctionner longtemps : mariage le matin, divorce l'après-midi ! Je revois MM, tout piteux, entrer dans mon bureau ; dans un jargon mi-géorgien mi-français, il m'annonce :

"Henry, tu vas me gronder ! J'ai fait une c...

- Tu as cassé la voiture !", devinais-je aussitôt.

Sur le parking, la pauvre Ford, devant enfoncé, agonise en crachant de la fumée.

Je questionne : "où as-tu fais ça ?" et je crains le pire ; il répond : "sur le circuit, sur le circuit". Dans ma petite tête : quel circuit ? Il n'est quand même pas allé jusqu'à Nogaro ! Mamuka me prend par la main et me conduit sur le Terrain Honneur ; c'est sur la piste d'athlétisme du Moulias que mon pilier avait essayé de retrouver ses réflexes de conducteur ; dans le virage il avait dérapé, emporté la main courante et détruit le panneau publicitaire du principal partenaire, une grande compagnie d'assurances !

Le Club lui retira, chaque mois, une contribution sur sa paye pour rembourser une voiture sans doute heureuse de finir à la casse. J'étais très ami avec le responsable du club d'athlétisme, un ancien entraîneur à moi : il ne supportait pas un crampon de rugbyman sur son tartan ; je crois que s'il avait vu la Ford sur son territoire, il aurait piqué une crise cardiaque définitive !

Autre - bon - souvenir de Mamuka : match retour sur un stade mythique du rugby hexagonal ; l'aller a été particulièrement violent, des générales et des rouges ; cette fois-ci, c'est beaucoup plus calme ; mon équipe prend les devants à dix minutes de la fin et sur le renvoi tente une relance audacieuse dans ses 22 mètres ce qui n'est pas particulièrement recommandé quand on est entraîné par HB : ballon gardé au sol et pénalité victorieuse pour nos adversaires ; par la suite, à la question : "Qu'est-ce qui vous est passé par la tête ?", mes joueurs m'expliqueront que le panneau d'affichage reflétant le soleil, certains pensaient qu'on menait et d'autres qu'on était menés : vous devinez la "tronche" des coaches !

Dans les dernières minutes de cette rencontre pacifique, mon co-entraîneur s'accroche verbalement avec son homologue du banc opposé ; au coup de sifflet final, je regagne les vestiaires sans me douter de rien et j'entame une explication de gravure sur le quiproquo raconté ci-dessus ; derrière moi la porte s'ouvre et toute l'équipe locale s'introduit groupée autour de son capitaine et numéro huit. Ce dernier prend la parole au milieu de la pièce : "je viens d'abord vous féliciter ; vous avez une belle équipe et vous méritiez la victoire..." Ouf, on respire ; sur un des côtés, je remarque leur coach : un formidable coquard orne son visage ! "Maintenant, le fils de p... qui a osé toucher M., il ne sortira pas vivant d'ici !" Stupeur dans nos rangs, quelques-uns prennent leurs crampons, soixante personnes dans un vestiaire ! Incrédulité chez certains, inquiétude chez d'autres. C'est Mamuka qui va sauver la situation ; le Géorgien qui a encore du mal à saisir les subtilités de notre langue, s'est levé : "Moi, fils de p... ? C'est toi fils de p... !" Et il se dresse face à toute l'équipe adverse. Devant sa détermination, ils vont tous reculer ; des plénipotentiaires interviennent : la vague adverse, peu à peu, rejoint le couloir ; c'est un des plus grands moments de ma vie de coach !

Par la suite, Mamuka sera impliqué dans une affaire de dopage ; il sera innocenté : je suis monté au créneau pour le défendre ; même s'il avait été coupable, je l'aurais défendu. Pourtant, à son départ d'Auch, quelques mois plus tôt, nous avions eu une dispute d'une extrême violence ; nous nous étions affrontés nez contre nez. Par la suite, il m'avouera : "Ce jour-là, j'ai pensé à mon père qui aurait eu - il était décédé - ton âge et je n'ai pas voulu te frapper". Je savais que chaque mois, il envoyait une grande partie de sa paye à sa maman, là-bas, dans les montagnes !

Dimanche 18 mars 2007.-

Retour d'Espagne à trois heures du matin et arrivée à Grenade sur Garonne à 11 heures pour assister au repas d'avant match Grenade/Gimont. Invitation de mon ancien seconde ligne du LSC, AR, et rencontre avec AL, également ancien seconde ligne ; les anecdotes fusent et les fous rires aussi.

Lundi 19 Mars 2007.-

Retour sur Grenade/Gimont ; j'adore les matches des réserves, qu'elles soient à 12 ou à 15 ; une des grandes punitions c'est d'en être privé par les repas des partenaires qui s'éternisent jusqu'au point d'arriver au stade juste pour le coup d'envoi des grands ; là, j'ai pu m'esquiver et gagner la main courante où je vais rejoindre quelques amis pour évoquer le bon vieux temps.

Sur le terrain, un ouvreur chez les noirs, des attitudes, des changements de direction, deux petits coups de pied par-dessus, des gestes évocateurs : 3 points réussis depuis les 40 mètres ; la sono de Grenade marche mieux que celle d'Auch et la voix de la speakrine coquine, sûre de son effet : "Pénalité de M&hellip Grenade 12 / Gimont 3". Elle a cité le plus grand nom du rugby français par frère aîné interposé... Deux petites générales sympathiques et au centre du débat, plutôt rassembleur qu'excité, 3/4 centre par ailleurs, notre ami NZ, journaliste au MO, quel plaisir pour un entraîneur de juger un habituel critique ! Les cinq vieux que nous sommes parlent du passé : "Les talonneurs savaient talonner, les secondes lignes interroger, les centres passer sur un pas..." Echauffement des remplaçants de la réserve de Grenade : une jeune fille superbement belle dirige les man&oeliguvres ; les vieux avants sont subjugués, les vieux 3/4 sont becs cloués ! Oui, le Rugby a bien changé, en bien, bien sûr !

PS : Jeudi, j'apprends la mort de Lucie Aubrac ; en 1993, avec mes élèves, à Paris, nous avions eu l'occasion de converser longuement avec Elle ; je me souviens d'une femme fascinante ! Jeudi j'irai revoir le maquis de Meilhan en pensant à Elle.

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