Lego ergo sum

Par Rugbyrama
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Notre chroniqueur Rodolphe Rolland revient sur la victoire des Bleus contre le pays de Galles vendredi... et se réjouit que le groupe tricolore se soit enfin trouvé.

René Descartes l'avait bien cernée, du fond de son XVIIème siècle, la priorité élémentaire de notre basse condition humaine, lâchant son fameux juron "Cogito, ergo sum !" - je pense donc j'essuie - après avoir malencontreusement renversé son verre de gros bleu sur sa méthode de piano : faire disparaître les traces de la déconvenue sur sa partition.

Vendredi soir, les bleus, pas renversés, plutôt renversants, mirent un point d'honneur à laver leur linge sale en famille, lessivant tambour battant des diables rouges guère diaboliques pour l'occasion, sous l'impulsion de trois-quarts rageurs et du pack de Saint-Marc. Piqué au vif, "chahuté" par la presse, le groupe de Marc Lièvremont a su dans l'adversité déjouer les pronostics les moins optimistes, faire taire les plus sceptiques (dont je fus), valider le choix sibyllin d'une charnière expérimentale, et offrir enfin un ballon d'oxygène ô combien providentiel, à un sélectionneur qui attendait impatient le signe augural du bien-fondé de ses expérimentations. Franchement, on n'y croyait plus.

Plus que l'interrogation quant à la réelle valeur du rugby gallois, plus que la suffisance de la réalisation alambiquée de France 2, plus que l'opportunité des discours sur la méthode Lièvremont, la gauloiserie de cette virée nocturne du VI Nations, aura révélé à la France entière, de par cette réaction d'orgueil, que le groupe, cet ensemble homogène d'individualités, existait bel et bien. Un regret tout de même, c'est qu'il ait fallu les prémices d'une catastrophe à venir, pour que les joueurs, malgré l'absurdité calendaire du Top14, se découvrent collectivement les vertus guerrières fondamentales qui jusqu'alors leur faisaient cruellement défaut. La maîtrise ne fut pas toujours au rendez-vous certes, mais le coeur lui y était et c'était bien là l'essentiel. Toutefois, au lendemain de ce fait d'armes, l'incertitude demeure :

Sommes-nous capables de reproduire telle performance dans la durée ? Avons-nous les aptitudes en cas de baisse de régime pour gérer une rencontre de très haut niveau ?

"On a posé les fondations", a déclaré Thierry Dusautoir, maître artificier, véritable destructeur en chef de l'édifice gallois. Cette pierre inaugurale, déposée dans le jardin des "exploits" du rugby français, permettra au moins à Marc Lièvremont, en "maçon franc", de poursuivre son Grand Oeuvre, brique après brique, d'empiler en alchimiste ses Legos jusqu'à l'obtention d'une structure assez solide pour parachever sa construction. L'aveu de faire tourner l'effectif dès la prochaine rencontre du tournoi, contre-pied supplémentaire dans la fourmilière du rugby tricolore, n'a d'autre objectif que de constituer un matelas épais de joueurs, rompus à la discipline, prêts à suppléer les absences sans que la cohérence de l'ensemble ne s'en ressente. Entre reconduire coûte que coûte les mêmes ou élargir le champ des compétences, l'homme a semble-t-il fait son choix. Est-ce le bon ? L'avenir nous le dira.

La tâche de l'architecte se heurte aux incohérences du rugby français, à la pression du résultat, au calendrier démentiel du Top14, à l'ego rabroué de certain manager... Bref, la mission que s'est fixée ce Don Quichotte moderne aux prises avec les moulins à vent de l'ovalie n'a rien d'une sinécure et propose à notre homme et à ses adjoints une course contre-la-montre sous les auspices du stress et de la crise de nerfs. Est-ce là enfin l'homme de la situation ? Je n'en ai aucune idée. Il défend ses idées, et même si le projet de jeu, arlésienne patentée, n'est pour l'instant qu'une vaste utopie, le sélectionneur sait fédérer ses joueurs, endossant toutes les responsabilités pour les épargner. Ceci explique sans aucun doute la réaction collective face aux Gallois, et c'est, ma foi, un bon début.

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