La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa première chronique de l'année, notre expert, l'ancien international et entraîneur du XV de France, Pierre Villepreux, nous parle du poids des futures victoires qui seront cruciales pour le dernier virage du Top 14.

Le Top 14 aborde la dernière ligne droite. La plus cruciale car maintenant le poids des résultats et de chaque match s’impose à tous les acteurs et pas seulement aux joueurs. On pourrait penser que si le rugby fait recette et attire un public de plus en plus nombreux, c’est grâce à la qualité du spectacle proposé. Ce n’est pas le cas. Les bons matchs, ceux où il y a du bon rugby, sont assez rares. Si le public répond présent, c’est donc qu’il y trouve son compte. En ce sens le mot qualité peut renvoyer à des dimensions diverses qui sont très souvent affectives. Elles touchent entre autres, la communion joueur public, ce que l’on appelait l’esprit de clocher, l’image que renvoie les joueurs à grande notoriété, la combativité voire la générosité développée, mais aussi pour d’autres la beauté des gestes, la facilité technique. Autant de facettes du jeu qui s’imposent au spectateurs mais n’assurent, isolées, qu’une part du spectacle.

La prestation sportive pourrait selon le goût des uns, devenir une prestation purement artistique ou selon le goût des autres, cette prestation n’aurait de valeur que dans l’enjeu qu’elle représente, à savoir gagner le match. Dans ce cadre, la prestation du joueur et du collectif n’implique pas, en situation de jeu, la réalisation d’une œuvre, puisque il s’agit bien de gagner en marquant plus de points que l’adversaire et que la manière d’y arriver devient forcément seconde.

Combien de fois entend t-on "on ne retiendra que le résultat".

Si la prégnance de celui-ci est notoire dans notre Top 14, c’est que la formule de la compétition s’y prête et que, sans bon résultat, il devient difficile de développer des perspectives d’expansion. Le développement du beau rugby en est forcement freiné. Mais paradoxalement dans le même temps cette obligation de résultats soumet les acteurs, joueurs et entraîneurs à des principes contradictoires.

D’une part donc, le choix d’un jeu posé et prudent que cette obligation de résultats impose, explique en partie le pourquoi de formes de jeux rationnellement organisées et peu expansives. Ce jeu qui fait moins appel à la recherche d’une prestation plus spectaculaire finit par s’imposer aux joueurs qui l’ accueillent et l’acceptent comme le jeu le plus efficace pour atteindre les objectifs sportifs attendus par l’environnement .

D’autre part, et en contrepartie la liberté d’initiative qui est nécessaire aux joueurs pour exploiter totalement les opportunités que proposent le choix d’un jeu plus tactique, plus en mouvement, considéré comme plus spectaculaire. Celui-ci réclame du collectif d’autres compétences mais quand il n’amène pas les résultats attendus est vite déprécié. L’efficacité semblerait en rugby ne pas nourrir de risques.

Un entraîneur qui perd sait toujours rappeler à ses joueurs qu’ils ne sont pas là pour assurer le spectacle, pour plaire, pour faire dans l’esthétisme. En ce sens le jeu programmé est forcement plus rassurant et "sérieux" puisque l’on impose à l’adversaire ce que l’on veut faire, c’est le jeu des "pragmatiques" alors que le jeu tactique, avec son lot d’incertitudes, demande pour tous une réactivité adaptative à la vitesse de l’enchaînement des actions, c’est le jeu des "créatifs" qui acceptent de jouer le jeu dans le désordre qu’il génère.

Le premier choix celui d’une stratégie trop rigoureuse impliquerait les joueurs dans une discipline collective qui ne tend pas à les libérer, et il n’est pas facile pour ceux-ci d’en sortir quand ils sont en échec. Quand on s’y lance, c’est en fin de match, quand le score est défavorable et impose la métamorphose, mais celle-ci ne se décrète pas.

Personne, quand on en parle ne doute que le spectacle soit nécessaire pour mobiliser les foules et obtenir sa fidèle présence. Mais comment dans le contexte que les résultats immédiats réclament, faire passer que le message du beau jeu, autorise aussi de gagner ? Comment sortir de la routine et placer le joueur et le collectif sur des bases d’un système de jeu qui libèrent les acteurs, d’un système générateur d’actions géniales pour ne pas dire magiques ? Cela doit être possible puisque quand ce jeu émerge, tous s’en rappellent, et les productions individuelles ou collectives sont perçues par l’environnement comme relevant du merveilleux, du sublime, du stupéfiant, presque de l’immatériel.

Mais rien ne se réalisera sans un état d’esprit différent, qui consiste d’abord à avoir le courage de dépasser dans la conjoncture les obligations de résultats.

Dans cet ordre d’idée, la pertinence des bonus tant l’offensif que le défensif relevait au départ de cet état d’esprit. Il n’est pas question de remettre en cause son intérêt, mais j’ai le sentiment que, dans certains matchs, une fois atteint, le "résultat bonus" amène les joueurs voire les entraîneurs à s’en satisfaire, ce qui freine ainsi les initiatives et limite les ambitions. Dans une équipe, l’obtention de performance passe par la recherche de l’élévation du sentiment de compétences collectives. Ce qui veut dire, dans ce contexte, en cas de bonus défensif, aller chercher une victoire, ou en cas de bonus offensif ne pas se satisfaire de trois essais de différences puisque personne ne doute pas d’avoir les moyens d’ambitions supérieures. Se satisfaire d’un bonus en préservant l’acquis diminue même si inconsciemment l’implication tant individuelle que collective, et, l’estime de soi en est forcement affectée. Transformer le bonus en atout catalyseur d’énergie tout au long d’un match doit devenir une règle qui servira aussi à entrer dans l’état d’esprit utile à la mise en oeuvre d’un jeu ambitieux indispensable pour assurer le spectacle que la haute performance quel que soit le sport se doit de proposer.

Sinon, on n’effacera rien et on continuera.

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