La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Dans sa chronique hebdomadaire, notre expert Pierre Villepreux nous livre sa réflexion sur le phénomène de mise à l'écart des entraîneurs suite à des mauvais résultats. Le limogeage du Briviste Laurent Seigne ou le retrait forcé du Bayonnais Richard Dourthe en sont les derniers exemples.

La mise à l’écart d’entraîneurs et/ou managers est chaque saison un phénomène récurrent. Le haut niveau de compétition leur fait subir une pression permanente. L’urgence de résultats imposés ou programmés leur permet difficilement de mettre en place et en œuvre un projet et des stratégies à long terme. Les réponses qui sont régulièrement apportées quand les résultats ne suivent pas, pourraient laisser supposer une capacité à bien identifier les problèmes et à faire des choix qui devraient s’inscrire dans la logique du projet défini et particulièrement du projet de jeu choisi au départ. Mais ce n’est pas souvent le cas, il faut des solutions immédiates qui font entrer les entraîneurs dans un discours beaucoup plus intuitif et pragmatique. C’est cette deuxième tendance qui prévaut quand le volume du stress est grand. L’afflux des exigences est tel que la vision de l’entraîneur s’obscurcit, là justement où elle serait nécessaire.

Il faut avoir du recul et la confiance de ses employeurs pour ne pas être perturbé par les dangers qui, dans le système pro de haut niveau, menacent la fonction, l’emploi, la notoriété l’image, pour ne pas dire l’honneur. On entre alors dans une dimension particulière du jeu qui n’amène pas forcement à opérer les choix pertinents et font occulter les priorités au profit de l’accessoire.

Aujourd’hui beaucoup d’ex-joueurs de haut niveau s’investissent dans cette carrière et bien sûr au plus haut- niveau, puisque c’est ce qu’ils connaissent le mieux.

Pourtant si l’on regarde les entraîneurs à succès, on s’aperçoit en général qu’ils ont eu du temps, indispensable pour avoir aussi la sérénité. Quand Guy Novès analyse les causes de son insuccès relatif en 2009, il remet en cause le jeu de son équipe, donc les formes de l’entraînement et forcement lui-même. Son expérience, sa connaissance de l’activité et des hommes lui permet de hiérarchiser tous les domaines qui influencent la performance et de les adapter à leurs buts sans que cela implique la recherche rapide (ipso facto) des actions nécessaires pour les réaliser. La démarche n’est pas neutre car on s’attaque par ce biais au vrai problème celui du jeu et de la formation, essentiel pour contribuer à mieux s’entraîner en alimentant les facteurs de motivation, confiance et donc plaisir.

Cette connaissance et sa maîtrise sont aussi et justement la conséquence d’une formation commencée lors de ses études de professeur d’EPS, expérimentée en collège dans son établissement scolaire et en même temps avec les jeunes juniors du Stade toulousain, le tout conforté par ce qu’il vivait dans le cadre des entraînements du club, le Stade toulousain quand il était joueur. Cette appréhension et appropriation du climat favorable à l’apprentissage et les modalités qu’il engendre, commencé au plus bas niveau et décliné jusqu’au plus haut, me paraît capitale pour savoir, en toutes circonstances, aller à l’essentiel, défendre des convictions qui sont le fruit d’un jonglage permanent entre théorie et pratique, incontournable pour à la fois toujours mieux comprendre comment se construisent le jeu et les joueurs, et ainsi les amener dans une continuité de formation à s’armer afin que leur potentiel s’exprime de manière optimale.

Cette inclinaison pour les ex-joueurs à chercher une reconversion dans le secteur du rugby plutôt que dans d’autres activités sans relation avec le sport me paraît logique. Leur connaissance du milieu, l’appropriation de la méthode de formation et de leurs formes vécues pendant leur carrière de joueur leur permettent certes de disposer de pas mal d’aptitudes pour entrer dans la carrière d’entraîneur. L’accumulation, des matchs, des entraînements est un capital d’expériences qui leur apporte auprès des éventuels employeurs la possession de compétences incontournables. Mais le passage n’est pas si simple. Le perçu et le ressenti de la relation joueur – entraîneur sont fondamentalement différents selon que l’on est d’un côé ou de l’autre, tout autant d’ailleurs que les dispositions d’esprit qui animent l’un et l’autre dans un dispositif socio-économique qui tend de plus en plus à se complexifier.

En tout cas, face aux yeux de l’opinion et de ceux qui choisissent des entraîneurs fraîchement sortis du terrain, leur carrière sportive de haut niveau constituent une caution. Le bon joueur sera forcement un bon entraîneur. Le changement de statut n’est pas problématique puisque le diplôme obligatoire s’acquiert vite et relativement facilement. Il est davantage une réponse à la réglementation en vigueur qu’a l’évaluation dans le temps de compétences réelles.

La vie du joueur au plus haut niveau est un atout pour l’entraîneur. Mais aujourd’hui les exigences sont économiques, ce qui met en avant le caractère de plus en plus aléatoire de la fonction. La prise de risque relativement à la rentabilité immédiate est grande et peut être un facteur déréglant à la mise en place d’un projet aussi cohérent soit-il.

Face à cette pression constante que subissent les entraîneurs en général, les expérimentés et les autres, existe-t-il aujourd’hui suffisamment de latitude à défaut de liberté pour élaborer des stratégies à long terme et de vivre les manques en se formant progressivement dans le long terme ? Difficile, et d’autant plus que le vécu de formation s’est souvent fait sur le seul haut niveau et jamais dans une continuité allant de la formation des plus jeunes aux adultes. Il manque une étape dans le cursus, celle qui permet de comprendre comment l’enfant joueur de rugby se construit. Cela peut servir surtout quand on manque d’expérience et pas seulement quand il y a des problèmes ou en période de crise, et surtout si l’on se retrouve dans un club que l’on ne connaît pas ou mal.

Ce facteur d’appartenance à un club est un atout non négligeable qui permet de se structurer de manière optimale dans le cadre d’un ensemble de règles, de valeurs propres au club appréhendées au fil du temps comme ce fut le cas pour Guy Novès et certainement d’autres. Cet aspect devrait être davantage pris en compte dans un cursus de formation.

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