La chronique de Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert Pierre Villepreux revient sur des propos du joueur de football Yoann Gourcuff, riches en enseignements sur le mouvement général dans un sport collectif.

J'ai trouvé particulièrement intéressant un article concernant le football. Yoann Gourcuff s'exprimait sur le jeu, sur la philosophie qui l'anime quand il joue. On y retrouve les incontournables facteurs de motivations, la passion le plaisir, mais surtout, une analyse sur ce qu'il peut apporter à l'équipe dans le jeu collectif. Il n'est pas banal qu'un footballeur ne mette en avant immédiatement les vertus de la technique individuelle mais préfère parler de lecture du jeu, de placement et replacement "en fonction de la réponse des partenaires". Je rajouterai, parce implicitement cela l'implique aussi "en fonction de la réaction des adversaires". De fait dans son idéal de football "il n'y aurait pas de dribble".

Gourcuff entre dans une logique implacable, celle d'un jeu qui n'est pas celui de l'un ou de l'autre mais bien et tout en même temps, celui de tous. Le dribble ne devient incontournable que s'il n'y a pas d'autres options de jeu possibles. Pour qu'il en soit ainsi et que les conditions d'un jeu qui avance, par les passes et les déplacements, se réalisent dans une continuité offensive, il faut un collectif, formé à ce jeu, qui a la même approche, prêt à répondre en toute occasion et à la vitesse du jeu aux décisions de ceux qui vont recevoir le ballon et pas seulement quand ils l'ont, mais bien en anticipation avant la prise de décision.

Alors le dribble prend de manière seconde et certainement déterminante tout son sens, celui que le joueur lui donne quand il n'y a plus de solution et que le rapport de force s'est inversé en faveur de la défense. Il déplore bien entendu des dribbles qui se réalisent pour le plaisir de dribbler qui peuvent satisfaire celui qui les fait et souvent le public en cas de réussite dans le 1contre 1 voire 1 contre tous. Sont alors occultées d'autres options, celles que proposent les partenaires dans le rapport de force collectif 11 contre 11.

Implicitement dans la logique du discours de Gourcuff, il s'agit bien alors de donner au collectif les moyens de développer la capacité de penser et d'agir de manière créative. Mais faut-il encore que la démarche de travail réponde à cet objectif. La pensée en jeu du joueur appelée pensée tactique devient alors une composante essentielle de l'action tactique qui consacre l'intelligence en jeu du joueur et en conséquence donne en osmose toute sa place à la technique individuelle et au dribble.

Ce football idéal ce football total était celui des Pays Bas, celui d'un autre Yohann, Cruyff pour ne pas le nommer, celui d'un football à l'instar de celui proposé pour le rugby par René Deleplace et illustré dans son livre "rugby de mouvement, rugby Total".

Le jeu actuel s'est grandement enrichi des apports de la préparation physique mais comme en football avec les dribbles malvenus on pourrait bien souvent éviter les percussions de trop, les blocages collectifs. Il ne s'agit pas de les rejeter mais leur nombre est inquiétant. La performance est maintenant perçue dans ce cadre restreint et finissent par taire les autres solutions, à la fois pour le porteur de balle lui-même mais pire pour les partenaires. La logique de combat en rugby que créée les règles, la composante athlétique que cela requiert ne doit pas limiter la pensée tactique. Pourtant quand on voit le championnat actuel, on ressent bien qu'il y a un manque dans le jeu produit. On sait en pédagogie que l'inclination pour certaines dimensions du jeu en limite d'autres. Si on prend la peine de regarder combien de fois dans un match, le jeu par une passe supplémentaire en lieu et place d'un affrontement aurait créé ou continuer favorablement la situation précédente, on serait surpris du nombre d'occasion manquée qui aurait permis comme tout le monde semble le souhaiter aujourd'hui de jouer debout. Cette carence est liée essentiellement à un manque de perception et d'analyse des situations rencontrées.

Dans ce cadre, il y a bien une similitude intéressante entre la réflexion de Gourcuff et à ce jour, la dérive grandissante en termes de sens, ressentie dans le jeu produit en rugby. C'est vrai pour les joueurs et pour le public qui s'y habitue.

Pourtant, il ne s'agit pas de la mise en oeuvre d'un rugby utopique, mais bien, de la mise a disposition pour les joueurs des ingrédients utiles pour que, comme en musique, chaque note chaque accord ne valent en fait que par l'interprétation collective qui en est faite.

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