La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert Pierre Villepreux est de retour de vacances pendant lesquelles il a visionné le début des Tri Nations. L'ancien entraîneur du XV de France en a profité pour analyser les performances des champions du monde sud-africain.

Les Tri Nations sont en train de rendre leur verdict. L’Afrique du Sud, dans la foulée du succès obtenu contre les Lions britanniques, semble promise à remporter le titre 2009. Aucune équipe ne s’avère pouvoir résister au champion du monde.

Ces succès forcement interpellent d'autant plus que les springboks affirment leur supériorité grâce à un jeu peu spectaculaire pas réellement enthousiasmant mais on doit le reconnaître terriblement efficace. Il n'est pas difficile à décrypter puisque il se développe dans un territoire stratégique et tactique toujours identique et uniforme. Il s'appuie sur un énorme engagement physique tant en attaque qu'en défense. Ce facteur essentiel dans leur jeu leur permet de "conserver" le ballon en avançant par le plus court chemin et en progressant individuellement, jamais très loin du point de blocage. En alternance on joue au pied pour, soit occuper le terrain adverse soit et de manière outrancière on privilégie le jeu au pied offensif par le demi de mêlée et les autres joueurs des lignes arrières quel que soit leur rôle. Justement, le jeu au pied offensif de leur demi de mêlée Du Preez se fait systématiquement dans les zones de blocages (ruck) prés de la ligne de touche. Les enchaînements des tâches des uns et des autres, ceux en position de reconquête du ballon botté et ceux qui ferment les espaces plus au large sont remarquablement orchestrés et la montée collective millimétrée, toujours à la limite du hors jeu. Cette dynamique permet de donner aux joueurs les plus rapides positionnés derrière le 9 de se trouver l'instant successif en situation de récupération favorable et de toute façon défavorable pour l'adversaire en terme d'utilisation du ballon tant individuellement que collectivement. Cette précision et le timing du collectif dans tout l'espace de jeu du suivi du ballon fait toute la différence.

L'utilisation préférentielle du jeu au pied comme arme offensive et défensive est récurrente mais son efficacité globale du système est telle que dans leur esprit il ne s'agit pas de chercher des solutions dans un jeu qui ne manquerait pas de les fragiliser, ce qui explique leur insistance et la résistance que l'on ressent pour changer de jeu même si les qualités des uns et des autres le leur permettrait. Alors et puisque le jeu d'ensemble reste coincé on fait confiance au jeu individuel et aux nombreuses individualités le temps d'un exploit pour enfoncer le clou. Ceci est d'autant plus exaspérant que ce jeu finit par provoquer les fautes de leurs adversaires, ce qui profite au botteur qui du même coup devient le complément indispensable pour réussir avec ce type de jeu.

Cette efficacité est forcement troublante pour leurs adversaires qui à l'instar des Lions, des néo zélandais et australiens seraient incités à prendre des options de jeu différentes qui proposent plus de jeu collectif, plus de mouvement donc de plus d'initiatives. On aperçoit bien par moments ce type de projet mais jamais dans la continuité d'un match, ce sont des intentions qui se réalisent par périodes mais n'ont pas réellement de permanence. Dommage car, quand c'est le cas, on entre aperçoit, quand la défense collective sud africaine est provoquée avec appétence et justesse qu'elle n'est pas si invulnérable qu'elle n'y parait. Quand le jeu bouge, qu'on les provoque en créant un minimum d'incertitude, des fautes de défenses se font jour. Elles sont liées aux courses de déplacements pas toujours coordonnées ni pertinentes de certains joueurs sud africains( voir le premier essai des australiens lors du dernier match).

Pour qu'il en soit ainsi ils faut avoir le courage de provoquer le jeu et l'adversaire. Mais voila ce jeu est fait d'initiatives, d'incertitudes, d'enthousiasme du fait du mouvement qu'il génère, on le dit plus adaptatif mais en même temps plus à risque.

Depuis que le rugby existe, les rugbyphiles tente de se débrouiller avec cette dichotomie de styles. Elle est encore plus exacerbée aujourd'hui entre les pro mouvement et les autres. La réussite sud africaine va n'en doutons pas faire des émules. Le succès d'une équipe, d'un rugby, génère chaque fois dans le milieu une émulation et donc une dynamique d'engagement vers l'un ou l'autre style. Peu importe le comment pourvu qu'il gagne.

Je ne sais pas comment va être interprété la supériorité des sud africains et leur jeu dans le rugby français. La nouvelle formule de la compétition est à priori une ouverture vers un jeu moins sclérosé.

J'espère donc que nos techniciens auront une réflexion plus large à propos du jeu, de la nature du mouvement, de sa construction et en  même temps sur ce qui est adaptée à notre culture et à notre histoire. La formule de la compétition ouvre des espaces mais elle créait des exigences, il conviendra de choisir, de faire valoir sa passion , c'est une tache difficile mais c'est sans doute pour cela qu'elle est passionnante.

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