La chronique de Pierre Villepreux

Par Rugbyrama
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Notre expert Pierre Villepreux nous éclaire cette semaine sur les notions d'ordre et de désordre et sur leurs implications dans le jeu.

Une équipe de rugby pourrait être une société libre où le joueur en jeu devrait pouvoir faire ce qu'il veut. Ce fut le cas au tout début du rugby où des règles minimales étaient acceptées avant le match. L'histoire du rugby est bien là pour ratifier que le résultat lié à ce peu de contraintes légales générait un grand désordre. Ce désordre a présidé aux premières compétitions et a précédé l'ordre.

Au fil du temps,la multiplication des règles a forcement et progressivement limité la liberté des joueurs pour faire du rugby un jeu de plus en plus structuré. On est donc en droit d'accepter pour ce sport comme pour beaucoup d'autres domaines de la vie que "la liberté crée du désordre et l'oppression de l'ordre". Personnellement je préfère être libre dans le désordre.

Il faut donc que les règles permettent de conserver ces espaces de liberté dans lesquelles le joueur peut s'exprimer totalement, prendre des décisions, faire des choix qui lui appartiennent, en utilisant dans l'action les droits que donnent les règles.

Encore au fil du temps le législateur, quand il y a une nouvelle règle ou un aménagement, a toujours privilégié la vie du ballon, à la fois son mouvement propre et celui des joueurs, tout en donnant à tous, attaquants et défenseurs, les mêmes chances de conserver ou de récupérer le ballon (c'est le principe d'équité commun à tous les sports collectifs).

D'hier à aujourd'hui les règles ont toujours apporté aux pratiquants un haut degré d'autonomie, suffisamment en tout cas pour les exploiter positivement et optimalement dans le cadre d'un jeu fait de mouvements, qui assure la primauté du jeu à la main sur le jeu au pied. Ce dernier devient du même coup non pas secondaire mais complémentaire. Ce jeu de mouvement ne peut s'inscrire, du même coup, dans des formes de jeu, des évolutions et distribution des joueurs qu'il s'agit de reproduire et qui forcément amoindrissent le degré de liberté du joueur.

Les initiatives prises quand elles ne rentrent pas dans les schémas collectifs préetablis vont à l'encontre de l'ordre mis en place. Elles deviennent répréhensibles surtout en cas de non réussite.

Les joueurs dans le jeu actuel me semblent en difficulté dans ce jeu de désordre. La place prise par les consignes des entraîneurs et le mode de travail qui ne fait pas assez appel au non organisé ne forment plus de joueurs à même d'apprendre à agir et réagir en fonction de ce qui se présente en face d'eux, ce qui explique que le jeu juste, et sa corollaire le geste adéquat, sont rares ou sont le fait de quelques uns qui deviennent ainsi les génies tant admirés.

L'épanouissement du joueur au travers de la réalité désordonnée du jeu dans le respect d'une logique tactique et de l'initiative individuelle, soutenue par les principes fondamentaux "avancer –soutenir", me semble donc ne pas être suffisamment travaillé.

Malheureusement cette recherche de l'ordre s'avère sécurisante pour le joueur qui finit dans ce contexte par mal vivre et mal gérer les situations d'incertitude. De plus la nécessité de résultats force ces options.

A contrario ; si l'on accepte que l'ordre qui préside au jeu se doit d'être la conséquence du désordre que procure le mouvement du ballon et des joueurs, il faut alors choisir de prendre en compte sans restriction les notions de désordre et ordre dans leur antagonismes mais aussi dans leur complémentarité, mais en s'appuyant d'abord sur le désordre.

Aujourd'hui et davantage avec les nouvelles règles si l'on a envie de voir un jeu qui se réalise par des enchaînements dynamiques, en continuité (non pas en conservation statique qui n'effrait pas les défenses), de voir donc un jeu adaptif où le joueur donne du sens à ce qu'il fait, prend en compte se qui se déroule, prédit les évolutions successives, anticipe, sait relier entre elles les diverses actions de jeu, il convient alors de donner la priorité dans les entraînements à des formes de travail différentes qui placent le joueur dans des situations qui stimuleront optimalement les mécanismes perceptifs. Les expériences nées du désordre situationnel généreront sans difficulté des déplacements et une distribution collective pertinante (donc ordonnée) à même de répondre à toutes les situations évolutives rencontrées. Tout en même temps le degré d'adaptabilité acquis en jeu dans le désordre devient directement réinvestissable dans la maîtrise de règles nouvelles porteuses forcément de comportements et attitudes différentes. Cela éviterait aussi aux arbitres à avoir à régler ce problème.

Depuis que le rugby existe on voit que le législateur, entre devoirs et droits du joueur a déclenché une dynamique extrêmement complexe. On est en train de former des joueurs qui répètent des savoir faire, qu'ils maîtrisent et dans lesquels ils se complaisent, mais tout en même temps qui les limitent pour évoluer vers un jeu plus adaptatif qu'ils ne dominent pas. Et curieusement aussi du fait des règles, on attend que les joueurs et les entraîneurs s'investissent vers un jeu où il s'agit de savoir jouer avec l'incertitude, un jeu qui va s'ouvrir forcément demain sur la maîtrise du " désorganisé" et nécessitant d'autres habiletés tactiques et techniques pour y "performer".

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