La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez la chronique d'Henry Broncan, le responsable de la formation au SUA. Aujourd'hui il nous raconte l'aventure rugbystique d'un de ses compagnons Pierre Wolsczak.

Salut le Polack.

Jeudi 7 janvier

En un demi siècle de rugby actif en tant que joueur puis joueur-entraîneur, ensuite entraîneur et enfin...?, j'ai eu le bonheur de fréquenter moult avants de haut niveau et pourtant si j'affirme que Pierre Wolsczak est, de tous mes compagnons, celui qui m'a le plus impressionné, vous aurez d'autant plus de mal à me croire que ce joueur n'a évolué, entre 1965 et 1980, qu'au niveau de la Fédérale 3 et de la Fédérale 2 pour finir même en séries régionales du Comité Armagnac-Bigorre. C'est vrai que nous étions bien loin du professionnalisme et que ce seconde ligne "casé" à la mairie de Mirande en tant qu'employé municipal a voulu rester fidèle aux couleurs bleues et blanches de l'U.S.A.M. parce que l'époque voulait qu'un engagement pris se respecte ; et tant pis pour le FC. Auch qui aurait bien voulu constituer un couple Le Droff – Wolsczak derrière lequel Pierre Verdier et Pierre Ramouneda n'auraient pas eu besoin de se fatiguer à pousser en mêlée et auraient pu se consacrer totalement à ce jeu de mouvement qu'ils affectionnaient tellement.

Il fait très froid sur les Hautes-Pyrénées : Trie, le pays de Sarraméa, Pouyastruc, celui d'Alain Doucet, Laloubère et enfin Odos, une petite bourgade qui jouxte la capitale des Hautes-Pyrénées. La neige menace, mais pour le moment, c'est une bruine persistante qui glisse sur les toits d'ardoise et sur nos parapluies. Une centaine de personnes se hâtent pour traverser le modeste cimetière et gagner l'église au plafond peint d'un bleu que le ciel se refuse à nous gratifier aujourd'hui. Nous ne sommes que 8 - 4 avants et 4 trois-quarts d'alors – regroupés aujourd'hui pour suivre son dernier match : c'est vrai qu'en trente ans, les gens se perdent peu à peu dans leurs mutations professionnelles, leurs préoccupations familiales, leurs problèmes de santé...

1965 ? Les premiers cheveux longs, les pantalons pattes d'éléphant, et l'apparition des mini-jupes. De Gaulle tient toujours la route, ouvrant le tunnel du Mont-Blanc et fustigeant l'Angleterre et les Etats-Unis. Le plein-emploi nous rend insouciants et nous écoutons Sheila qui nous prend par la main, Adamo qui fait tomber la neige, Johnny, Sylvie, le train de Richard Anthony, et Brel nous transporte dans le port d'Amsterdam. "Belphégor" et Juliette Gréco fascinent les téléspectateurs. En rugby, Agen domine l'hexagone. Derrière un pack de fer, Sitjar en troisième ligne et Pierre Lacroix à la mêlée s'en donnent à coeur joie.

L'USA Mirande évolue en Fédérale 3 ; le stade tout proche de la maison d'Alain-Fournier est plein chaque dimanche : les derbies contre Nogaro, Gimont et surtout Vic-Fezensac, l'ennemi juré. A notre tête, les présidents Dauriac et Oliveira, les secrétaires généraux Lajaunie puis Cathala, à la trésorerie et d'ailleurs partout l'extraordinaire Menu et au volant de sa D.S, le père Maurras. Un entraîneur en avance sur son temps, Jacques Barbé, un technicien hyper compétent doublé d'un remarquable pédagogue. L'équipe joue bien s'appuyant sur des lignes arrière de qualité : les frères Lacoste, Labriffe, Séris, Marino, Desangles, Carles, les Peres, Morales etc...Devant, on se déplace bien après avoir assumé les tâches essentielles : Lantin, Cavalière, De Fierkowski, Claverie, Combina, Pujos...Un problème pourtant et de taille pour l'époque : quand le jeu se durcit, l'équipe se délite et en ces temps-là, le jeu se durcissait souvent !

Le mal l'a pris à la fin du siècle dernier et comme il faisait sur le terrain, il a pris le problème à bras le corps. Un combat terrible que me contait régulièrement son neveu Thierry, le responsable de notre équipe de France de rugby à 7, lors de nos différents entretiens. De temps en temps, la voix rocailleuse me joignait au téléphone : "ça va, ça va...c'est dur, mais ça va ; t'inquiètes pas, je vais la tordre cette saloperie..."

A chacun des déplacements du FCAG sur Maurice-Trélut, comme nous l'emportions souvent, il venait partager la joie de nos vestiaires. Mes joueurs avaient pris l'habitude d'accueillir en souriant ce personnage inoubliable : le corps de John Wayne et la tête de Charles Bronson -je n'exagère même pas – Il leur sortait alors sa grosse voix : "Et surtout, vous l'écoutez "le petit", vous entendez ? Vous l'écoutez !" Il y a deux ans, lors de la venue d'Agen, il était également là et il avait même accompagné son neveu lors du match à Armandie. Sur le chemin du retour, il avait émis le désir de s'arrêter, place d'Astarac, au Glacier, le siège du club de Mirande...quand il y avait un club ! Là aussi, le temps avait fait son œuvre : nouveaux propriétaires, nouveau look, nouvelle clientèle. Au serveur, il osa -c'était pas une grande gueule ! - dire : "Quand je jouais, c'est à cette table que je m'installais pour attaquer la 3ème mi-temps. L'interlocuteur :

- Vous jouiez ici ? Comment vous appelez-vous ?

- Pierre Wolsczak.

- C'est vous le fameux Pierre Wolsczak mais les anciens me parlent toujours de vous !" 

Il m'est arrivé de rencontrer d'anciens adversaires de l'USAM de l'époque. Plusieurs d'entre nous ont évolué, par la suite, dans des équipes de Nationale : Graulhet, Castres, Montauban, Auch...Ce n'est pas de nous dont ils se souvenaient : "Chez vous, il y avait un Polonais terrible en 2ème ligne ! "

C'est Alfred Lestrade, le boucher de la rue Esparros qui nous l'a dégoté : "Je crois que j'ai trouvé celui qu'il nous faut : un vrai dur, un Polack qui joue au basket à Jegun, un peu âgé (32 ans) peut-être mais je crois qu'il va nous rassurer..." Et de nous présenter fièrement sa découverte ; dès la poignée de main, on comprenait ! Pourtant, les premiers entraînements qui consistaient en parties à toucher, n'inspiraient guère le nouvel arrivant, toujours mal placé devant l'ovale. Par contre, quand sa grosse "patasse" nous frappait dans le dos, nous gardions la marque de ses gros doigts jusqu'après la douche. Un premier match, en réserve, nous fit peut-être, un instant, douter de lui, surtout lorsqu'il partit porter une fois le ballon en direction de son camp. Une rencontre improvisée de basket sous la halle à la volaille nous inquiéta encore davantage car notre nouveau partenaire avait beaucoup de mal à cibler même le rectangle qui soutenait le panier. Par la suite, il nous apprit que les derbies de l'époque entre les villages de Castelnau d'Angles de Vergnes, l'Isle de Noë des Lascombes, Riguepeu de Commères, Le Brouilh de Prieur, Barran de Paul et ...Jegun, nécessitaient d'autres arguments que la simple adresse. A son 3ème match de rugby, il prit place en équipe 1 pour occuper le poste de seconde ligne et ne jamais le quitter : Notre pilier droit allait pouvoir pousser en travers, notre talonneur jeter ses crampons sur introduction adverse et nos trois quarts faire les malins et provoquer les gros d'en face.

Pierre avait la réputation de faire mal mais ils étaient nombreux dans les matchs de l'époque, redresseurs de torts désignés pour les châtiments contre ceux qui outrepassaient les règles non pas du rugby mais du "milieu" d'alors. On pourra objecter que mon admiration pour Pierre provient de ce "rituel français" qui pare en général un disparu récent de qualités souvent améliorées, la mort venue. De mon côté, je veux objecter que, depuis l'arrêt sportif de mon ami, je n'ai eu de cesse de vanter ses qualités de rugbyman. Pourquoi ? Tout simplement parce que la très grande majorité de ces "chevaliers noirs" qui sévissaient sur les terrains pour le bien-être de leurs camarades, oubliaient souvent, certainement par peur des représailles, de "mettre la tête" dans le feu des regroupements d'alors. Disons qu'entre deux " exécutions ", ils cheminaient prudemment ! Pierre n'a jamais triché : les mains et le crâne dans tout ce qui bouillait, jamais un pas en arrière, oreilles bouffées par les poussées en mêlée, nez cassé à plusieurs reprises, arcades souvent sanguinolentes. Pierre a beaucoup plus reçu qu'il n'a donné et c'est pour cela que tous, nous l'admirions tellement ! Il était toujours le premier et nous n'avions qu'à le suivre.

Pendant l'homélie du prêtre, chacun des 8 copains se rappelaient les aventures qu'ils avaient vécues auprès du "Polak", un curieux Polonais d'ailleurs, ni blond, ni rose, type plutôt cosaque, chevelure noire, peau mate, yeux bridés, les rides multipliées au coin des yeux, les rides de ceux qui n'ont pas beaucoup ri dans leur enfance. A la fin de la cérémonie, nous sommes restés longtemps ensemble, aux abords du cimetière, retrouvant des souvenirs, riant malgré les circonstances et le lieu, heureux de nous revoir, relatant chacun un bout de cette jeunesse que nous avions partagée avec lui.

Une anecdote entre autres : invité récemment par un club voisin d'Agen qui avait réuni tous ses glorieux anciens pour les fêtes, au cours du repas, on m'a demandé d'exprimer quelques mots et j'ai raconté que j'étais venu jouer dans ce lieu, avec l'USA Mirande, en 1973 ; un match plutôt violent que nous avions remporté très difficilement 6-3. Au retour, nous nous étions promenés, vainqueurs sans problème avec une cinquantaine de points en notre faveur. A la fin des agapes, un des convives vint me rejoindre : "voilà, à l'aller, j'étais en réserve mais, au retour, c'est moi qui ai joué talonneur ; personne ne voulait opérer à ce poste. Tous avaient peur de votre Polack...il ne m'a pas touché !"

Retour par Montaut d'Astarac, Saint Michel, le chêne de Theux, Saint-Elix, Lapalu, Moncassin, St-Médard, Idrac, la route des 47 quand ils vont au ski. Arrêt chez la vieille dame qui cherche actuellement à "intuiter" sur les intentions de Marc Lievremont pour le futur XV de France. Elle interrompt sa réflexion pour lâcher avec l'assurance de ses 90 ans : "Pierre Wolsczak, en fait, c'était le Chabal de maintenant : ils en avaient tous peur !" Elle a tout compris.

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