La chronique de P. Villepreux

Par Rugbyrama
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En s'appuyant sur l'exemple du football anglais, notre chroniqueur Pierre Villepreux revient sur les ingrédients qui transforment le sport en spectacle de qualité.

Digression sur le football

Le football comme le rugby est un sport d'opposition. Il faut pour marquer des points, peu importe la manière de le faire, atteindre une cible. Lors du dernier match Chelsea-Liverpool, la cible à été atteinte huit fois. Je ne sais pas honnêtement qui méritait de gagner, et à la rigueur peu m'importe, mais je suis resté devant la télé jusqu'au bout.

Quand le football met en scène ce type de spectacle, on est dans un art, celui de l'excellent. Ce match rend forcément plus terne toutes les productions, celles où l'on se satisfait du seul résultat et où on entend dire "avoir fait le métier".

Attaques-but, pertes de balles-contre attaques-but, gestes techniques sortis d'ailleurs, initiatives, prise de risque, liberté, désordre et forcément créativité, les deux équipes donnaient l'impression d'avoir pactisé avec le jeu. Je n'ai pas identifié de stratégie évidente tant défensive qu'offensive. Le fameux football total de Johan Cruijff, tout le monde attaque, tout le monde défend sur tout l'espace de jeu, serait-il de retour ?

Dans tout sport collectif, il faut de la liberté pour que la créativité s'exprime. Dans ce cadre, l'action créative va devenir l'affaire de tous, une synergie seule à même de favoriser l'acte individuel de création que l'on reconnaîtra comme déterminant puisque efficacement diabolique. Mais cette action créative n'appartient pas seulement au "Je" (celui qui l'a réalisée), il est la conséquence du "nous" (il appartient à tous) et devient fédérateur d'une encore plus grande dynamique collective.

Il revient nécessairement à l'entraîneur de créer les conditions de l'engagement des acteurs du jeu dans le sens de ce processus créatif. Processus de relation et de partage qui va leur permettre de vivre leur production plus intensément, leur rendra le pouvoir que les stratégies excessives leur ôtent et créera dans la continuité une fièvre contagieuse propice à un perfectionnement illimité.

Ce type de match laissera la souvenance d'un match référence, parce qu'il a su produire sur tous spectateurs, téléspectateurs, joueurs et entraîneurs, étonnement, émotion, excitation admirative, ce sont les facteurs-clés du spectacle, ceux qui enlèvent tous les suffrages. Mais en plus, pour les perdants, on vit la défaite avec une plus grande tolérance, la défaite devient porteuse d'espérances et dans la dramaturgie ambiante, le poids de l'arbitrage est démystifié.

Ce match n'est peut-être qu'un épiphénomène, pas bien sûr reproductible à la demande, mais il devrait servir de réflexion sur ce que l'on attend du spectacle sportif, et donc de la qualité, donc de la forme de la production utile pour fidéliser et séduire ceux qui le regardent. Quand on pénètre dans un stade, on ne connaît pas le contenu du spectacle ni sa valeur, on va y chercher un résultat. Le résultat ne se soucie pas de la qualité, donc de la manière mais pour qu'il y ait spectacle, il faut que les deux se combinent, ce qui oblige à avoir une formule de la compétition qui crée les conditions pour qu'il en soit ainsi.

Le rugby ne produit plus au plus haut niveau ce type de match. Le jeu ponctuellement d'une équipe peut le côtoyer mais rarement les deux ensemble. Bien des raisons peuvent être avancées. La tendance actuelle,du fait des technologies pointues d'analyses, de prendre en compte plus le jeu adverse que son propre jeu, en est peut-être une. A regarder les autres, on joue par rapport au jeu de l'autre, en oublie ses forces et indirectement, on se fragilise.

Dans notre rugby, en France, on a les acteurs pour réaliser plus souvent un spectacle de qualité et, dans cette dynamique non remise en cause, obtenir des résultats pour retrouver un standing en Europe et dans le monde. Il faut pour cela savoir ne pas abandonner au moindre accroc, ni rester dans la demi mesure et le "oui mais". Ce sont bien des convictions qu'il faut transmettre aux acteurs et en aucun cas des certitudes, seule façon pour que les interrogations l'emportent sur les réponses.

Le pouvoir fort qu'au fil du temps l'on a confié aux entraîneurs et qu'ils se sont logiquement octroyés, les place maintenant en pôle position pour expliquer.Mais cette explication est trop souvent une interprétation politicienne. L'analyse objective, l' expertise qui est la sienne, il la réserve à ses joueurs. J'aimerais entendre dire, on n'a pas assez joué, on n'a pas été assez ambitieux, et pourquoi ?

Une communication vraie où le partage du jeu, celui réellement réalisé comme source d'évolution vers le "encore plus", deviendrait un credo à même de générer comme le dit Jacques Verdier dans l'Edito de Midi Olympique "une force identitaire" sur laquelle on ne reviendrait pas constamment. C'est cette force que me semble aujourd'hui détenir le football anglais. Elle transparaît dans la forme puisque les joueurs sont mentalement prêts à s'y engager sans crainte des conséquences, et dans ce jeu, leur potentiel est optimalement, non seulement utilisé, mais tout en même temps développé. La sanction, le résultat négatif ne donnent plus alors mauvaise conscience, il constitue un choc psychologique et pas simplement un échec avec les conséquences qui vont avec, doute et perte de confiance en soi et en l'autre. C'est ce qui me paraît se dégager dans l'ensemble du jeu anglais et de son championnat domestique, et donc reconductible dans la compétition supérieure, la champion's league, avec les résultats que l'on sait et curieusement mis en oeuvre, et place par un maximum d'étrangers qui, je pense, n'aurait pas ce type de rendement dans un autre contexte.

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