La chronique de H. Broncan

Par Rugbyrama
Publié le
Partager :

Comme chaque semaine, retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Mardi 5 février

Journaliste au " Petit Bleu " - ce quotidien qui fait, au lever du jour, le bonheur de mes néo-concitoyens – Christian Delbrel, par ailleurs auteur du remarquable ouvrage sur les cent ans du SUA " Un siècle, des hommes, un club " - une encyclopédie en bleu et blanc- m'a sollicité pour une rencontre avec les détenus de la Maison d'Arrêt de la capitale du Lot et Garonne. Je n'ai pas pensé, le moindre instant, pouvoir refuser une telle invitation car j'ai été marqué à vie par un mentor qui ouvrait non seulement sa porte à tous les " clochards " de passage du côté de Mirande, au milieu du siècle dernier mais qui en plus, leur offrait toujours sur une large tranche de pain, un peu du pâté ou du boudin du dernier cochon tué : " Tu ne sais pas ce que tu peux devenir un jour " se justifiait-il à mes yeux sur le qui-vive devant ces visiteurs issus d'un " autre monde ". Par la suite, j'ai eu plusieurs connaissances et parmi elles, quelques amis et même des parents derrière les barreaux; alors, j'ai pensé en effet, que personne n'était à l'abri des malheurs de la vie et de …l'opprobre des bien-pensants.

En 1969, professeur novice au lycée de Muret, j'ai fait passer le baccalauréat dans la célèbre Centrale de cette sous-préfecture de la Haute-Garonne. Je me souviens avoir eu le trac quand je me suis retrouvé dans une petite salle d'études, seul face à trois candidats prisonniers. Le gardien m'avait simplement déclaré: " S'il y a un problème, décrochez le téléphone qui est à portée de votre main ! " En fait, tout s'est bien passé ; nous avons échangé pendant près de 3 heures ; eux, heureux de discuter avec un nouvel interlocuteur, moi, un peu voyeur sans doute, mais satisfait de leur apporter un peu d'air frais.

En cette douce après-midi de février alors que nous procédions aux différentes vérifications permettant la visite, des souvenirs affluèrent, certains décevants car nuisibles à mon ego. Ma première dérobade à l'égard d'un prisonnier date du début des années 80 : vers 1965, nous avions pris l'habitude de faire nos parties de rugby à toucher, à Toulouse, sur l'un des terrains annexes du Stadium. Pendant deux heures, le dimanche matin, nous jouions comme des gosses, quelques-uns ex-internationaux, certains issus de divisions plus modestes, d'autres pratiquement néophytes. Il y avait aussi des gros ventrus, des gringalets, des blancs-becs, des grandes gu…, des taiseux, des mèches blondes, des cheveux gris, des artistes, des " maouajits ", des rires, des sarcasmes, des coups de sang, des en-avant et même quelques marrons aux environs de midi quand la fatigue et la fringale s'en mêlaient. Dans le groupe, quelques-uns étaient très liés, pour la plupart, nous ignorions les noms – les prénoms suffisaient - et la condition sociale – rien à battre -. Lui et moi, nos jeux s'accordaient : il pressentait ma croisée, je m'appuyais sur ses redoublées ; il prévenait la faiblesse de mes jambes et la compensait par ses accélérations. Ainsi nous jouions par plaisir, toujours côte à côte, sans chercher à dépasser autre chose que les simples bonheurs de partager un sourire, un clin d'oeil, une tape dans la main quand nous avions réussi une bonne action. Un matin, stupeur, sa tête faisait la Une de la Dépêche du Midi. La bande à R.V., un gardien de but de l'équipe de France de football, le " goal volant " - ma génération vénérait ce " kamikaze " - venait d'être arrêtée après plusieurs braquages. J'ai assisté au procès de cette équipe – la plupart étaient des sportifs – qui avaient défrayé le landerneau toulousain. Les peines prononcées furent logiquement lourdes malgré les soutiens de nombreuses célébrités du ballon rond appelées à la barre. J'ai beaucoup pensé à mon copain. Plusieurs années après, lors d'un de ces merveilleux lundis des marchés de Samatan qu'il vous faut venir apprécier, je l'ai revu à l'improviste : il tenait un petit stand devant la pharmacie Khan : des amulettes, des bibelots, des babioles, des bricoles… Nos yeux se sont croisés, se sont baissés et j'ai filé vers la Maison de la Presse….sans rien lui dire. J'ai bien sûr regretté ma désertion et je suis revenu le lundi suivant sur les lieux ; l'étal n'était plus là et je ne l'ai jamais revu.

A partir de 1975, devenu entraîneur du LSC, j'ai pris l'habitude de conduire, au moins deux fois par an, mes joueurs –nous avions trois équipes seniors – à la Centrale de Muret, pour y affronter l'équipe constituée par les prisonniers. C'était, à chaque fois des rencontres très engagées sur un petit terrain dont les lignes de touche flirtaient dangereusement avec les murs des cellules ; il n'y avait pas que des connaisseurs parmi les spectateurs mais les encouragements portaient, et sublimaient les condisciples : de l'engagement, mais pas de brutalités. Dans cette enceinte étriquée, j'ai affronté au moins deux anciens internationaux et plusieurs joueurs de bon niveau. A l'issue du match, nous partagions une réception certes frugale mais elle nous permettait d'échanger sur des sujets très variés, en général sur le sport. Nos hôtes supportaient le LSC qui connaissait ses heures de gloire.

Peu à peu, j'avais lié des prémices d'amitié avec le capitaine de leur formation : un troisième ligne au jeu très rustique, gabarit moyen mais rempli d'os qui nous assénait des plaquages d'autant plus désintégrants que nous atterrissions sur un sol souvent caillouteux. Il me racontait qu'il évoluait aussi avec l'équipe de football et de handball de l'établissement, qu'il pratiquait intensément footing et musculation : " je me noie dans le sport, me disait-il, pour oublier ". Un jour, il imposa à ses camarades de se cotiser pour m'offrir un magnifique " bronze " représentant un rugbyman en action.

Chaque saison, nous rencontrions une équipe en partie renouvelée : des têtes nouvelles remplaçaient les libérés mais le flanker était toujours là pour nous accueillir. Il collationnait tous les articles de presse nous concernant et nous montrait fièrement sa collection. Je vieillissais et je supportais de plus en plus mal les plaquages appuyés : il s'en était aperçu et, gentiment, il m'épargnait, se contentant de me bloquer sans me mettre à terre. Dans un après match plus sujet à confidences que les précédents, j'ai osé aborder le sujet jusque là tabou : " Il y a longtemps que je te rencontre ici, tu sors quand ? " Je crois bien qu'il attendait ma question : " J'ai plongé à 19 ans ; j'en ai maintenant 29. J'aimerais sortir maintenant mais j'ai encore 10 ans à tirer. Crois moi, j'ai changé : je ne suis pas le fou que j'étais lors de ma condamnation ; j'ai peur de ne pouvoir refaire ma vie dans 10 ans ".

20 ans, incompressibles !... Un éducateur m'apprit la cause de sa condamnation : je n'ai jamais pu revenir à la Centrale : avec le temps, je pense que j'ai eu tort. D'abord, il n'était pas tout seul à nous accueillir, ensuite, il avait raison, il n'était plus le même ! Deuxième lâcheté de la part d'Henry Broncan.

La Maison d'Arrêt d'Agen ce n'est pas le château de Pizay : un bâtiment ancien bien gris, à deux pas du Tribunal et de la Préfecture, entre Armandie et le centre ville ; une construction géométrique, bien carrée, bien solide, sans fioriture, organisée autour de 4 petites cours, lieux de promenades bien restreints. On m'avait raconté l'exiguïté des cellules, la promiscuité à 6 ou 8, la domination des plus forts. Certains " pensionnaires " , en attendant les Assises, séjournent là jusqu'à deux ou trois ans. La bibliothèque ouvre ses portes matin et soir : une exposition sur le rugby est actuellement en valeur. Peu de place pour la pratique du sport : pas de terrain, une modeste salle de musculation avec encore moins d'adeptes que le lieu de lecture. Même pas d'atelier de travail pour occuper des journées qui doivent sembler interminables. Dans la salle qui nous accueille, une vingtaine de pensionnaires réunis à l'instigation des deux enseignants détachés par l'Education Nationale ; deux " combattants " à la motivation intacte malgré les déceptions quotidiennes face aux conditions de travail et aux sautes d'humeur de leurs " élèves " . L'assistance a préparé des questions parfois enfantines –les mythes de la 3ème mi-temps ! – d'autres plus techniques : rugby d'hier plus spectaculaire que celui de maintenant, le jeu de l'équipe de France, l'avenir d'Agen dans le rugby professionnel…Des gersois sont là ; je crois bien qu'ils sont heureux de me retrouver : " Comment se comporte Bourrust en Angleterre ? Il faut qu'il revienne. Et Menkarska ? Il a perdu son temps au Stade Toulousain ! Le FCAG va-t-il se maintenir ? Et comment va Tapasu ? Et Titi ? J'étais avec eux à la salle de musculation de Mouzon… " . Deux heures plus tard, au moment de se séparer, cet ancien supporter me glissera : " Nous avons bu un verre ensemble un soir de victoire, sous le chapiteau : vous ne vous en souvenez pas… Auch, c'est votre pays, quand y reviendrez-vous … ? ".

Christian Delbrel est accompagné de Philippe Berniès, l'ancien n° 8, devenu un chef d'entreprise renommé dans la ville. Celui-ci leur a raconté sa belle expérience de joueur – les dents de Serge Simon ! – son bonheur d'avoir appartenu au SUA, sa reconversion réussie : il craint les lendemains du professionnel d'aujourd'hui…moi aussi ! Au moment du départ – les deux heures sont passées trop vite – deux détenus, Daniel et Philippe, nous lisent un poème….Je retiens : " Ecouter le coach, sur un jeu plein d'incohérences / …/ Nous vous remercions d'être venus nous rendre visite, dans ce lieu, où nous sommes tenus à distance. " / Quand je suis rentré dans la salle, je l'ai tout de suite reconnu et ses yeux ont cherché les miens. Je crois bien avoir ressenti son plaisir d'être reconnu. Pendant la discussion, il est resté impassible comme détaché d'un débat qui ne présentait pour lui aucun intérêt. Pourtant, il y a près de trente ans, il venait à nos matchs et participait même à nos 3èmes mi temps : beau mec, il y séduisait plus facilement que nous nos copines de la nuit. A l'époque, la vie semblait lui sourire…Au coup de sifflet final, pendant que je signais quelques autographes et que j'échangeais quelques propos avec mes hôtes, il est passé en cherchant un instant mon regard, un léger sourire aux lèvres : " Tu vois ce qu'on peut devenir " semblait-il vouloir me dire. J'aurais dû couper court les entretiens et aller vers lui : encore une fois, j'ai manqué de courage.

Vendredi 1er février

Le chemin de crête me conduit à la Chapelle de Vicnau dont une partie est classée monument historique. De là aussi les Pyrénées sont magnifiques et le chêne de Theux, à plus de 15 kilomètres, domine l'horizon. Sous le porche, des bulletins de la Société Archéologique du Gers datant des années 70 sont entassés : " Servez-vous " dit une affiche. J'en prends deux: dans le premier une communication sur les us et coutumes de Noilhan, un village proche de Samatan ainsi que les souvenirs de Résistance d'Abel Sempé: deux cadeaux tombés presque…du ciel !

Samedi 2 février

Long voyage vers Grenoble…Mon ami N.L. depuis la Ligue m'a adressé un ouvrage plein d'humour " Chronique des règnes de Nicolas 1er " par Patrick Rambaud, Editions Grasset, janvier 2008 : manquent le récent mariage et le dernier texto mais les épisodes précédents de la vie de " Notre Précieux Souverain " qui ne " bouge que par ressorts " occupent agréablement le voyage. Arrêt à Nîmes : le Président L.G nous accueille ; il me raconte sa visite à la DNACG, cette semaine : aucun cadeau : la rétrogradation ! La santé ? Pas brillante : le vieux lion poursuit-il un dernier combat ?

Dimanche 3 février

Gilles Cassagne est auscitain par ses beaux parents, lombézien par son frère et surtout son grand-père qui m'ouvrait le stade de Lonbez pas encore baptisé Paul-Vignaux. Il sourit : "J'ai lu que tu disais que Maurice-Trélut était le plus beau stade de France parce que ses poteaux indiquaient les Pyrénées mais Lesdiguières et les Alpes sont encore plus beaux: regarde le Massif de Belledonne, de ce côté la Chartreuse, derrière le Vercors… "

Grenoble et mon ami Bruno m'ont toujours bien accueilli. Deux cadeaux vont me consoler rapidement de notre défaite. " A coeur ovale ", Editions Cielstudio, juin 2006, raconte, photos de Thomas Bianchin à l'appui, les aventures de Pierrot La Tombal alias Christian Jean. C'est " notre " rugby, celui qui part des enfants de l'école, passe par Domène, La Mure, St-Egrève…, mais n'oublie pas le redoutable Freddy Pepelnjack et l'insaisissable Vincent Clerc. A la réception d'après match, nous avons le temps de regarder Ecosse-France et l'ailier d'ailleurs consacré talent d'or, déchaîne l'enthousiasme de l'assistance. Son père est dans celle-ci, logiquement fier de sa progéniture. Dans l'ouvrage, c'est le dernier texte, le numéro 22, le dernier des remplaçants, que je préfère: il est consacré au vieux vestiaire: " Tout au bout du couloir, le sire au sifflet les attend ; tout au bout du couloir, le soleil mange l'ombre ; tout au bout du couloir, la crainte leur bouffe les tripes… "

Avant de reprendre le car, un supporter grenoblois se rapproche : " Je sais que vous êtes un passionné de Résistance…Permettez-moi de vous offrir ce livre…. " Il s'agit du " Guide-Mémorial du Vercors Résistant " par Patrice Escolan et Lucien Ratel, Le Cherche-Midi, Mai 2004. J'espère avoir le temps un jour de parcourir la montagne sacrée. Le présent est accompagné par un petit mot qui me rend encore plus heureux.

Jeudi 7 février

Le LOU arrive samedi soir à Armandie: le LOU, la seule équipe venue s'imposer la saison passée au Moulias…Prudence et détermination (Agen s'est finalement imposé 24-20, ndlr)

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?