La chronique de H. Broncan

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Mercredi 21 novembre:

A peine l'entraînement fini, j'enchaine avec deux réunions et un repas programmé. C'est d'abord devant le bureau de l'Association que je viens répondre aux questions sur les 4 "licenciements". Un des mérites du SUA, c'est de ne pas couper le cordon ombilical entre le secteur amateur et le professionnel; le Président du premier PC avec qui j'ai des relations excellentes va, pour des motifs politiques - les élections se dessinent - prendre du retrait : j'aime bien sa passion pour le SUA et sa gentillesse à mon égard même s'il sait que nous ne serons pas du même côté de l'urne... d'ailleurs, la mienne m'attend à Samatan ! Son suppléant VS a, lui aussi, le club dans la peau; je me souviens l'avoir rencontré avec Mirande en 1972, à Aiguillon, où il occupait les fonctions de capitaine-entraîneur... opinion et questions fusent; Elhorga est bien un mythe ici: tout le peuple agenais s'identifie à ce joueur qui les a fait rêver. Je pense à mes jeunes collègues, CAPES en tête, désignés, pour la plupart, dans les banlieues les plus difficiles, pour un salaire dérisoire. Les uns en sortent plus forts; combien d'autres mâchés à jamais. C'est autre chose que d'avoir le choix entre Bayonne et Montauban en TOP 14 !

Dans cette grande surface, c'est la présentation d'un DVD collector sur les 10 demi-finales et finales du SUA... Les images défilent, les internationaux et les essais aussi et je comprends encore mieux les frustrations du public actuel. Simple spectateur, j'ai, dans les populaires de Lourdes et de Béziers entendu les mêmes ressentiments. Au jeu des comparaisons, mes joueurs seront toujours perdants d'autant que les mémoires sont incroyablement sélectives.

Dans le registre des anciens combattants, c'est une belle fin de soirée que je passe avec MC. Nous nous étions déjà rencontrés, il y a peu, dans une réunion thématique rugby, à propos de la Coupe du Monde. Là, dans ce discret restaurant du centre ville, nous allons, entre plusieurs verres de Duras, mélanger anecdotes, passes vrillées, relances et mauls: Gabarret, le village fou de rugby, Port Ste Marie, la belle aventure depuis le fond des séries régionales aux hauteurs de la Fédérale 2, lui, le " petit coach " du bas de Garonne devenu le patron d'un SUA constellé de pardessus, d'internationaux et d'étoiles, le départ vers l'Isère, la création d'un très grand club, la quête du Président actuel, la mise en place du centre de formation le plus performant de France, le retour à l'oubli, le coup de main au petit club près du lieu d'asile, le bonheur des petits enfants... Lenny !

Jeudi 22 novembre:

J'ai quitté le Gers de bonne heure car la journée dans le Lot-et-Garonne promet d'être longue; les médias se multiplient sur "l'affaire" des 4 joueurs "priés" de trouver un autre club: le syndicat Provale - c'est son devoir - prend fait et cause pour ses adhérents. C'est, sans engouement, que les entraînements se déroulent; je multiplie les rencontres avec les joueurs, incontestablement, ils sont inquiets: "A quand est mon tour ?" . J'interviens aussi auprès des non-sélectionnés pour le match de Béziers: les doublement inquiets: l'équipe TV, France 3 posent leurs caméras, France 2 s'annonce: l'affaire devient nationale, politique et sportive ! Loin des micros, nous passons la soirée, trois amis réunis, à déblatérer de tout et de rien c'est-à-dire à refaire le rugby puisque nous ne pouvons pas refaire le monde.

Vendredi 23 novembre:

Christian Delbrel, journaliste au Petit Bleu, me présente le livre du Centenaire du SUA: "1908-2008 un siècle, des hommes, un club" éditions Action Groupe Communication. Les titres, les grands joueurs, mais aussi les plus grands dirigeants défilent au long des pages: des personnages de légende; je ne me sens pas capable de mettre en avant - la passe en avant est interdite au rugby - un nom plutôt qu'un autre: quel formidable plaisir et quel beau cadeau de Noël !

Ce matin, pour la première fois, à propos de personnage de légende, dans le cadre d'un atelier technique, je dispose de la présence de Rupeni Caucaunibuca: déjà regrossi, à court de souffle la tête dans les îles et pourtant quel talent ! Qui a appris le rugby à Caucau ? Chacun sait qu'il n'a jamais fréquenté une école de rugby, qu'il s'est forgé une technique en jouant dans le pré de son village, avec ses camarades, comme ma génération qui, dans la cour d'école ou devant le porche de l'église, occupait ses loisirs dans d'interminables parties de béret, d'épervier ou "d'attrapé"... seulement aucun d'entre nous n'avait les dons de Rupeni !

Samedi 24 novembre:

FG s'est blessé à la cheville en heurtant un de ses camarades d'entraînement. Décidément, Béziers s'annonce mal d'autant que ET va faire la feuille de match - comme à Narbonne ! - que la TV sera là - comme à Narbonne ! - et que même Pascale de Sud Radio annonce sa venue - comme à Narbonne !

A l'image du boulon de Jacques Fouroux, les rugbymen - surtout les vieux - sont extraordinairement fétichistes: la même place dans les vestiaires, le même rituel pour préparer le match, toujours les mêmes couleurs... ainsi va jusqu'aux détails les plus intimes... Un chercheur de l'INSEP m'a conté que les jeunes poursuivent dans notre voie; par exemple, pour désorienter un nageur, il suffirait de lui cacher sa serviette préférée ou simplement de la changer de place. Sans doute exagéré !

A propos de jeunes, c'est une belle après-midi que nous offrent les cadets A et B du SUA contre Dax sauf que la rencontre des B, correcte et hyperactive, s'achève par une lamentable bagarre générale qui surprend tous les spectateurs et éducateurs présents: comme un vent de folie qui dure une longue minute.

Canal + offre la rencontre Dax - Auch. Les Auscitains sont largement au niveau, construisent un jeu ambitieux alors que les Dacquois se contentent du petit périmètre. Marc Lièvremont présent dans les tribunes et qui me reprochait le manque d'ambition de mon jeu doit s'interroger sur cette curieuse évolution. Thomas Lièvremont dégage de la pression en mêlée et les malheurs des buteurs gersois, autorisent la courte victoire landaise. Il faut que Montauban paye la note, samedi soir, au Moulias. Patrick et Pierre-Henry aidés par Bernard et Elie seront prêts... Raphaël aussi !

Dimanche 25 novembre:

C'est un match âpre, sans envolée, dominante au pied que les clubs de la grande finale 84 nous livrent. Une occasion pour revoir la détresse de Bernard Viviés affalé sur le gazon du Parc des Princes consolé par l'arbitre fuxéen M. Yché. Aujourd'hui, on est loin de l'intensité de cette rencontre; les miens bafouillent - 13 en avant - perdent ou donnent le ballon. Une belle réaction d'orgueil autorise une difficile victoire. Mon ami Michel Palmié me prend sous aile dans le couloir d'Armandie : "Vous n'êtes vraiment pas bons" , me glisse-t-il.

Dans les vestiaires, les joueurs restent prostrés comme après une défaite. J'essaye de les rassurer; me croient-ils sincère ? Pourtant les 18 ans de SG ont tout tenté. Pourvu qu'il garde cette insouciance !

Sur France 2, dans l'émission Stade 2, allongée sur son divan, la diva expose ses états d'âme. A-t-il une pensée pour ses copains qui ont souffert sans lui cet après-midi ?

Lundi 26 novembre:

"Mon copain, le chêne"... Vous imaginez le nombre de copains qu'il a connu depuis mille ans ! Il me paraît en pleine forme sous ses habits d'automne; le soleil du Gers est au rendez-vous mais la brume de novembre cache les Pyrénées: presque tant mieux, nous sommes bien chez nous; les clochers de Viozan, de Sauviac, de St Elix, de Belloc, de St Michel, etc... et bien sûr de Miramont se dessinent plus ou moins discrètement. On se saoule d'horizons.

Mardi 27 novembre:

Quatre joueurs au repos pour le déplacement de Mont de Marsan; c'est une annonce d'autant plus difficile qu'ils sont "accros" des matchs et de l'entraînement et qu'ils pensent qu'il s'agit d'une mise à l'écart. Leurs réticences me rassurent: leur passion est intacte. Deux rendez-vous intéressants: le premier avec GR futur retraité du Comité Périgord Agenais; un technicien discret mais très compétent. Un peu plus tard c'est "Potiolo" toujours passionné par le jeu des numéros neuf et par le rôle du capitaine. Je peux les écouter des heures sans lassitude.

Mercredi 29 novembre:

La lettre anonyme. Comme tout entraîneur, je reçois mon lot - parfois hebdomadaire, parfois mensuel - de ce genre de missives. Certains de mes collègues - ce type d'envoi dégage une certaine odeur - les jettent au panier sans même les lire, d'autres les lisent et réalisent le même geste.

De mon coté, j'aime bien les garder avant de les... perdre: mon entourage sait que je perds tout ! Aujourd'hui, je regrette beaucoup de ne pas les avoir toutes conservées pour pouvoir les relire, les soirs de spleen. D'abord, les auteurs ont beaucoup de mérite car ils pourraient utiliser comme tout un chacun des moyens d'expression plus modernes: le téléphone sous couvert de numéro masqué, les forums des clubs sous couvert de sobriquets. Ensuite, rédiger une bonne lettre anonyme relève d'un certain art: quelle patience pour découper une photo dans le journal et la recouvrir d'insultes ! Quelle minutie pour composer un texte avec des mots d'abord isolés puis regroupés méticuleusement pour assouvir sa rancoeur ! Il me faut remercier aussi tous ces compétents qui depuis quelques années composent l'équipe du week-end à venir: je tiens souvent compte de leurs avis. Parfois, ils me témoignent une amicale sollicitude en s'occupant affectueusement de ma vie privée: "Un tel est le nouvel amant de ta femme... Tu as changé de maîtresse..." L'apologie c'est la collection d'insultes. Par ici, elles sont plus politiques que rugbystiques : "vieux con de gauchiste... pédale d'anarchiste... " Ma préférée étant: " milliardaire rouge ".

Quel honneur de me comparer au paysan de Noë !

Celle d'aujourd'hui m'a paru particulièrement charmante. Je ne vous la livre pas en entier car elle est trop longue et peuplée de fautes d'orthographe. Elle est adressée à "l'entraîneur du SUA" ; l'auteur m'apprend qu'il a déjà écrit à la même époque, la saison passée, à mon prédécesseur. Il l'avait, alors, averti que s'il ne lui mettait pas "une femme dans les bras", il ferait descendre le club en seconde division ! Didier n'ayant pas exaucé ce voeu, on sait ce qu'il est advenu du SUA... A mon tour : si je ne réalise pas, avant l'hiver à venir, le même désir exprimé, l'auteur ne nous permettra pas la remontée, pire, il nous enverra en Fédérale 1 !

Légitimement inquiet, je me suis rendu dans le bureau des deux collaboratrices les plus charmantes de la SASP. Je les sais très attachées aux résultats de l'équipe 1. De plus, elles sont vraiment très belles. J'ai exposé avec le maximum de gravité l'étendue du problème: j'attendais de leur part un acte de dévouement pour ne pas dire de grande bravoure... je n'ai recueilli de leur part que des rires: mais que sont devenues les supportrices du SUA ?

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