La chronique d'Henry Broncan

Par Rugbyrama
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Comme chaque semaine, retrouvez "les pas perdus d'un coach", la chronique d'Henry Broncan, l'entraîneur du SU Agen.

Mercredi 16 janvier

C'est une rencontre intéressante autour d'une table généreuse - pour le moment, à Agen, on mange mieux au restaurant qu'on ne joue au rugby –. Cet homme connaît très bien l'histoire de sa Ville et bien sûr, celle du Sporting : avant de passer à table, il a su me faire visiter les quartiers anciens, complétant les enseignements qu'un premier guide m'avait donnés. J'apprends avec lui beaucoup sur mon club actuel ; les anecdotes fusent, plus vraies que des légendes : des essais d'une autre époque, des haines abyssales succédant aux plus hautes amours, des vies qui s'entrecroisent, se rapprochent et se quittent comme des passes un temps réussies puis éternellement rompues. Point d'orgue : ces parties de cartes à faire pâlir de jalousie les immortels César, Panisse, Escartefigue, et le pauvre M. Brun. Comme mon interlocuteur est également passionné par la période de la Résistance, les heures défilent au grand dam des serveurs du restaurant qui aimeraient bien que l'on poursuive notre conversation dans la rue. En fin de soirée, il lâche : "Lombez-Samatan ? J'y ai gagné un match très important, il y a plus d'un quart de siècle : L'arbitre était un ami et nous ne pouvions pas perdre." Je sais la date précise de cette rencontre car je n'oublierai jamais le mal que cette défaite, accompagnée d'une descente dans la division inférieure avait provoqué dans mon club ; je m'étais toujours interrogé sur l'impartialité de ce directeur de jeu, cette après-midi là. Curieuse coïncidence : dans ce rendez-vous des plus agréables, je venais d'avoir la confirmation des doutes ressentis, 27 ans auparavant !

Jeudi 17 janvier

Un des trois quotidiens régionaux accorde une page entière au ressentiment d'un grand ancien du SUA devenu entraîneur du club parisien qui nous rend visite dimanche. Je songe immédiatement à la conversation de la veille. Tous ceux qui ont défendu les couleurs d'Armandie ont tellement aimé ce club, ont tellement donné pour lui qu'ils n'ont jamais admis qu'ils puissent en être plus ou moins écartés. Ce genre de rapport existe dans tous les sports : ils sont exacerbés dans le rugby, sans doute, parce que le combat et tout le coeur qu'il faut y mettre sont primordiaux. Je me souviens qu'un célèbre présentateur télé avait dit :

"Nous ne sommes que des sous-vedettes, la vedette c'est la télévision". Ces joueurs célèbres comprennent-ils qu'ils doivent toute leur célébrité au rugby et que sans lui, ils ne seraient que des Messieurs tout le monde... ce qui est déjà quelque chose !

Vendredi 18 janvier

Séance de travail avec mon tuteur G.R. qui me prépare à l'obtention de mon futur ex-brevet d'état 2ème degré. Il m'initie aux subtilités de l'épreuve vidéo. J'avoue que ce domaine qui fait les délices de mon fils – des heures et des heures devant l'ordinateur - et des entraîneurs actuels me fatigue quelque peu : le rugby, j'aime le voir en direct parce que j'aime le sentir ; j'ai besoin d'en entendre les bruits, d'en ressentir les chocs, d'en présager les révoltes, d'en anticiper le déroulement. Patiemment, G.R. – presque mon âge - poursuit mon éducation.

L'après-midi, je regagne le Gers et je m'arrête à Condom pour acheter le Midol vert et boire un café au Bar des Allées. Deux clients y sont attablés et l'un d'eux se lève : "... M. B, j'étais votre élève au lycée de Mirande, c'était il y a plus de 40 ans". Sûr d'être reconnu, il me raconte les matchs qu'il jouait avec l'équipe du lycée et les juniors de l'USAM. Timide, je n'ose pas lui demander ni sa place ni son nom. "...Vous étiez très exigeant mais je me régalais". C'est gentil mais je sais que la nostalgie, - cette maladie du retour – arrange bien les choses. Nous nous quittons et dans ma voiture, je cherche l'identité de mon interlocuteur. Vers le Brouilh, je trouve enfin : Il opérait avec brio à l'ouverture, bon attaquant mais défenseur moyen ; un très beau garçon, qui séduisait toutes les filles de l'établissement... Quelquefois, il vaut mieux ne pas se revoir !

Samedi 19 janvier

Mise au vert au Centre de Formation des apprentis après l'entraînement du capitaine. Moins de concentration, davantage de gamineries ; mes co-entraîneurs m'en font part. Sur la 2, le Stade Toulousain et Edimbourg nous font rêver. En soirée, des amis me téléphonent les résultats de la D2. Peu de mes joueurs s'y intéressent ; la plupart ne connaissent même pas les oppositions : le SUA n'a toujours pas compris que nous étions en seconde division ! ... C'est devant la Coupe d'Europe que l'on s'extasie ici !

Dimanche 20 janvier

Je sens l'équipe craquer dans le dernier quart d'heure ; nous avons trop peu creusé l'écart, en première période, malgré la domination du pack et, à la mi-temps, j'ai ressenti la lassitude de mes avants. Il est certain que l'absence de notre vedette fidjienne - voir Toulon - pèse très lourd car nous nous avérons incapables de traduire, sans lui, notre domination. Du côté de Paris, la paire de demis, Berry et Wisniewski, met le feu à Armandie, et Dicka s'en va juste derrière la ligne : ces 20 centimètres qu'il franchit alors qu'ils ont manqué à Mignardi en début de partie, ces petits centimètres qui, dans un match serré, vous font basculer dans la victoire et l'euphorie, ou dans la défaite... et l'opprobre ! Je connais Dicka et je voulais qu'il accompagne Tidjini à Auch. J'avais même dit à mes joueurs : ne le laissez pas prendre d'intervalle car il va très vite, par contre, il a beaucoup de mal à faire une passe dans la défense. Recommandation oubliée, toujours notre manque d'humilité !

Lundi 21 janvier

Louis XVI a perdu sa tête. Le président Tingaud conforte la mienne. Je sais qu'une partie des tribunes Basquet et Ferrasse la réclame mais j'ai déjà connu ça dans le passé – jamais au Lombez-Samatan-Club – en particulier pendant les automnes 1998 et 2005 au FCAG.

C'est le lot des entraîneurs en échec, "l'univers impitoyable" ! Ce genre d'épreuve ne me fait pas peur : J'ai la chance d'avoir des amis extraordinaires, exceptionnels que le vent n'emportera pas ; ils étaient auprès de moi, hier au soir. Soutiens ton ami surtout quand il est mal ; quand il est bien, il n'a pas besoin de toi. Les soirs de victoire, les textos se multiplient ; les soirs de défaite, ils sont moins nombreux mais bien plus nécessaires.

Vers 13 heures :

- "Henry, je peux te voir ?

- Oui

- Je me suis battu hier soir…J'ai été provoqué et..."

Ce discours, je le connais. Chaque saison, dans chaque club que j'ai entraîné, je l'ai entendu et j'ai toujours dit à mes joueurs : "Vous êtes forts, vous êtes jeunes ; soyez au-dessus des provocations qu'on peut vous adresser..."

C'est très difficile car, après un match perdu, on a bien sûr la "haine" et pour peu que l'alcool l'attise, on fait n'importe quoi. Dans ce domaine, ma vie n'est pas exempte de reproches : je me souviens d'une "chaude" soirée du LSC où j'avais envoyé un formidable coup de casque à BG, le photographe le plus célèbre du M.O. Depuis, nous sommes de bons amis !

Mardi 22 janvier

Ce matin, j'ai réuni les joueurs : Je ne veux plus que de tels incidents se renouvellent. Ils ont une image qu'ils n'ont pas le droit de ternir par de semblables agissements.

Il y a suffisamment d'occasions sur un terrain de montrer sa force pour rester tranquilles pendant la troisième mi-temps.

Une jeune étudiante en "réflexologie !" se présente pour accomplir un stage en tant que bénévoles auprès de mes joueurs. Elle tombe à pic : Je vous raconterai plus tard.

Annonce des 22 de l'équipe de France. Part belle à la Pro D2 avec les sélections de Brugnaud et de Mela, révélé dans les combats obscurs de ma division préférée. Bravo Marc.

Mercredi 23 janvier

J'ai rendez-vous avec un jeune journaliste de Midi Olympique pour expliquer le pourquoi du demi de mêlée lanceur. Cela promet d'être passionnant : las, le rendez-vous et le repas seront déplacés car le principal partenaire du club s'annonce ; Je suis vraiment surpris de rencontrer un "Breton"aussi au fait des choses du rugby.

Je retrouverai le jeune NZ la semaine prochaine. Joue-t il toujours au Grenade Sports ? Sa défense s'est-elle améliorée ?

Droit d'Inventaire n'a pas attendu le printemps pour diffuser son émission sur mai 68 : déjà 40 ans et je crois encore que c'était hier. Un grand ciel bleu sur Mirande qui flemmardait et une virée hebdomaire, rue Albert Lautmann, où nos camarades toulousains de la Fac de lettres attendaient impatiemment ? d'être assiégés par les CRS. Max Gallo, toujours lucide, Marie Drucker a cru bon d'inviter son oncle ; Daniel Cohn-Bendit, éternelle grande gueule, Alain Geissmar, amaigri, essouflé ; Balladur, insupportable "professeur". Rappel des récents propos de notre Président de la République. Les CRS ont donc été les stars de 68 ? !!!

Remarquable sujet sur l'ORTF et la censure : gagner les élections signifiait, bien, à l'époque, s'emparer de la Télévision. ! De Gaulle inquiété, fragilisé, mais formidable stratège, le 29 mai... Final avec Mai 68, interdit aux femmes ? Croyez-moi, elles n'ont jamais été aussi belles et donc aussi puissantes que ce printemps-là !

Jeudi 24 janvier

Petite promenade sur les coteaux de Miramont d'Astarac et le téléphone se déchaîne : J.N. en garde à vue, R.C, 2,25 grammes d'alcool dans le sang dimanche soir ; les nouvelles s'étalent dans tous les quotidiens régionaux et particulièrement dans deux d'entre eux.. J'étais au fait du premier, je découvre le second et je suis catastrophé. Heureusement, pour ce dernier, j'apprends rapidement que la nouvelle est fausse. Comment un journaliste a-t-il pu la diffuser ?

Dans le cas déjà connu, on annonce que l'entraîneur des espoirs, remarquable éducateur, plein de bon sens et de flegme, serait mêlé à la correction en compagnie d'autres joueurs de sa formation : ça, je ne peux pas le croire ! D'abord parce que J.N. n'a besoin de personne et c'est plutôt le genre à affronter seuls 15 adversaires et surtout pas le contraire... De mon côté, je sais que je l'alignerai, samedi soir, à Tarbes. Il sera même le capitaine de la formation agenaise, et je suis sûr, que Jean Monribot, l'actuel porteur du brassard, sera de mon côté. Maintenant, je pense aussi à la victime, d'après ce que j'ai compris, lui aussi rugbyman. Comment deux pratiquants de ce sport si formidable appartenant donc à la même famille, peuvent-ils en venir aux poings ?

Midi, Gilbert Daries a réuni autour de moi, les inconditionnels : BL, le président, RD, maire de S. et conseiller général, P.S et J. C., E.N et H.T. du FCAG, A.L. le président de l'EABXV.

Quatre heures de fous rires, de conversations croisées, de cris d'amour. J'ai à peine trempé mes lèvres dans une coupe de champagne car je ne voulais pas que l'entraîneur du SUA fasse la "une" du journal de vendredi pour conduite en état d'ébriété : la loi des séries !

Vendredi 25 janvier

Très belle carte de voeux de la part du fameux club de supporters auscitains : "Un pour tous, Tous pour XV..." ...Des mots gentils de Thierry Firmino, Franck Juppé, Eric Gleyze, - mon ancien élève de Carnot et des cadets du FCAG – et bien sûr de Christophe Pouysegu : une formidable équipe qui "colle" bien au club actuel.

Ce soir, au moulias, le Stade toulousain est de retour : un choc énorme dans un Jacques Fouroux plein à craquer. Nous suivrons ça depuis Lestelle, devant la petite lucarne : mon coeur battra très fort. Dans les tribunes je crois voir les Bouet, Escoffier, Graou, Labric, Gaussens, Rocca, Sabbadin, etc...surexcités, comme à l'époque. Un grand match à tous.

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