Bénézech: "Le rugby ferait mieux d’essayer d’agir a priori qu’a posteriori"

  • Laurent Bénézech, rencontré dans un café parisien
    Laurent Bénézech, rencontré dans un café parisien
  • Laurent Bénézech - décembre 2014
    Laurent Bénézech - décembre 2014
  • Laurent Bénézech, lorsqu'il était joueur du XV de France - 1995
    Laurent Bénézech, lorsqu'il était joueur du XV de France - 1995
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Avec des formules choc et des propos venus bousculer tout le monde du rugby, Laurent Bénézech a remporté une première bataille : les questions d’"accompagnement médicalisé de la performance" se sont retrouvées au coeur de multiples débats sensibles. Malgré les retours violents du monde du rugby professionnel, l’ancien pilier du XV de France fait évoluer les discours et certaines mentalités.

Aujourd’hui, Bénézech défend ses idées dans le cadre de la promotion de son livre*. Demain, il espère participer à des missions officielles pour chercher des solutions concrètes.

Vous vous êtes engagé sur un terrain très sensible. Vos convictions dépassent-elles ce que vous vous permettez de dire publiquement ?

Laurent BENEZECH: Non… Je suis obligé d’être prudent dans l’utilisation du vocabulaire et la formulation. Mais je ne suis ni médecin, donc pas tenu par le secret médical, ni scientifique de l’AMA ou de l’AFLD, donc sans devoir de réserve,. J’ai la capacité d’exprimer clairement ce que je crois être l’approche la plus pragmatique du sport de plus haut niveau. Après, s'exprimer, c’est une chose, agir, c’est un chantier compliqué sur bien des axes, juridique bien sûr mais d’abord médical et scientifique. Cela doit être mené progressivement, par un collège d’experts qui aurait la capacité de travailler sur études concrètes et bénéficierait surtout d'une indépendance totale vis à vis des fédérations.

Vos propos ont dérangé beaucoup de monde. À quel point le retour a-t-il été violent contre vous ?

L.B.: La volonté principale a été de tuer le messager pour ne pas avoir à écouter le message. Ça a été fortement mis en oeuvre dès mes premières déclarations. On a essayé de me faire passer pour un menteur, un tricheur, quelqu’un qui a des desseins individualistes et qui n’est là que pour se mettre en valeur lui-même. Le procès Provale a permis quand même d’envoyer un message fort au monde du rugby, qui a adopté depuis la politique du silence à mon égard pour ne pas nourrir le débat.

On m’a traité d’affabulateur quand j’ai mis en avant la pratique de l’hormone de croissance

Avez-vous le sentiment que votre message porte malgré tout ?

L.B.: Je vois quand même des évolutions, même si elles sont très lentes. J’ai démonté les arguments qui faisaient du suivi longitudinal la soit-disante arme absolue contre toute pratique dopante et aujourd’hui, bizarrement, j’entends que le suivi longitudinal est remis en question par le monde du rugby. On m’a traité d’affabulateur quand j’ai mis en avant la pratique de l’hormone de croissance et je découvre une interview dans le journal Sud-Ouest où le médecin et élu de la fédération, Christian Bagate, en parle comme d’un produit utilisé dans le rugby français (ici). Je vois des évolutions énormes en termes de prises de parole. J’espère qu’elles se traduiront aussi dans les faits.

Laurent Bénézech - décembre 2014
Laurent Bénézech - décembre 2014

Avez-vous reçu au contraire des témoignages qui supportent vos prises de position ?

L.B.: Avec la sortie de mon livre et la campagne de promotion, j’ai été confronté à un public soit amateur, passionné, soit curieux de ce sport qui monte en puissance, avec pour eux une évidence dans la logique de mes propos sur une évolution qui paraît anormale. Les soutiens sont réguliers et fréquents, d’autant plus lorsqu’on s’éloigne du coeur du rugby professionnel. Ça va jusqu’à des témoignages dans le rugby amateur de pratiques plutôt isolées. Ce sont les mêmes comportements mais avec une logique un peu différente de celle que je dénonce dans le rugby professionnel.

Je suis prêt à aller au bout de la logique qui est de participer à la construction d’une autre approche de l’accompagnement médicalisé du haut niveau

Vous vous retrouvez dans un rôle de lanceur d’alerte…

L.B.: (Il coupe). Je ne veux pas seulement être un lanceur d’alerte, quelqu’un qui dénonce un état de fait et s’arrête là. Je suis prêt à aller au bout de la logique qui est de participer à la construction d’une autre approche de l’accompagnement médicalisé du haut niveau. Pour que ce soit possible, c’est une approche qui doit être internationale, omnisports et qui doit accepter un autre regard sur ce monde manichéen de l’antidopage. Ça sous-entend beaucoup de conditions, beaucoup de paramètres, mais c’est un message que je suis prêt à porter, à défendre, qui dépasse le cadre du rugby. Le rugby a été précurseur dans d’autres domaines, ce serait magnifique qu’il le soit sur celui-là. Je suis un peu sceptique mais pourquoi pas…

Si des institutions du rugby ou de la lutte antidopage vous tendent la main, qu’avez-vous à leur apporter ?

L.B.: C’est un problème compliqué donc je suis prêt à me mettre autour d’une table pour chercher des solutions concrètes qui permettraient d’avancer pour que la pratique du sport de haut niveau limite la dangerosité que constitue l’accompagnement médicalisé de la performance. J’ai dans ma carrière beaucoup travaillé sur les problématiques liées au stress et aux limites du corps. J’ai notamment expérimenté sur des disciplines comme le triathlon de longue distance. Je peux être un bon complément à des scientifiques qui ont eux un savoir essentiel mais plus théorique.

Laurent Bénézech, lorsqu'il était joueur du XV de France - 1995
Laurent Bénézech, lorsqu'il était joueur du XV de France - 1995
Il ne faut pas oublier que la seule différence entre un médicament et un poison, c’est la dose

Les joueurs, qui sont au coeur des préoccupations que vous affichez, ont été très offensifs contre vous. Comment les convaincre ?

L.B.: La phase de prévention est essentielle. Pour moi, il faut la mener prioritairement sur la tranche d’âge des 12-16 ans. Leur cerveau est suffisamment formé pour prendre en compte des messages importants comme la dangerosité de certaines pratiques et ils ne sont pas encore tombés dans le rêve absolu de construire une carrière sportive, ce qu’on va retrouver dans les tranches 16-18 et 18-24 encore plus. La cible des 12-16 ans est essentielle pour inscrire ce message : Attention, une surmédicalisation présente des risques pour la santé. Il ne faut pas oublier que la seule différence entre un médicament et un poison, c’est la dose.

Quels ont été vos échanges avec la Fédération internationale de rugby ?

L.B.: La World Rugby est présidée par un Français (Bernard Lapasset) que j’avais rencontré en 2013 mais qui m’avait affirmé ne pas avoir le temps d’aborder ce type de sujet avec moi. Sa journée était trop occupée par ailleurs… Depuis, il ne s’est jamais mis dans la logique pour aborder ces questions. La Fédération internationale a récemment découvert le marketing et essaye de développer le rugby à une échelle mondiale. Elle doit aussi se préoccuper de l’image que le sport peut renvoyer de manière globale notamment sur ce qui est au coeur de mes préoccupations. Une surmédicalisation va entraîner un niveau de performance surhumain qui peut amener à des accidents. On le voit dans les inquiétudes provoquées par la multiplication des commotions cérébrales et leurs conséquences sur la santé des joueurs, le rugby ferait mieux d’essayer d’agir a priori qu’a posteriori. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

*Rugby, où sont tes valeurs ? Un joueur brise l’omerta. Éditions de La Martinière.

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