Les conquérants de l'impossible

Par Rugbyrama
  • JP Rives
    JP Rives
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C'était il y a presque 30 ans. Le 14 juillet 1979, à l'Eden Park d'Auckland, une bande de pionniers bleus firent tomber une barrière historique. Pour la première fois, le XV de France s'imposait en Nouvelle-Zélande face aux All Blacks. Un bijou de match autant qu'une page d'histoire.

Graham Mourie entre dans le vestiaire français, où les Bleus, entre joie intense et fatigue au moins aussi prononcée, commencent à célébrer leur exploit, dont ils ne mesurent probablement pas tout à fait encore la portée. Le flanker néo-zélandais lance alors un énorme "Vive la France". La cerise sur le gâteau bleu. Admirable de sportivité, l'immense troisième ligne des All Blacks est pourtant devenu quelques minutes plus tôt le premier capitaine d'une équipe de Nouvelle-Zélande à perdre à domicile face aux Français. Mais en ce 14 juillet, ce Bastille Day comme disent les Anglo-Saxons, l'admiration qu'il ressent pour son adversaire est plus forte que la déception qui l'anime.

30 ans après, cette victoire reste une des plus célèbres et une des plus marquantes de l'histoire du XV de France. Une des plus symboliques, aussi, tant elle résume l'identité profonde de la sélection française, capable du pire quand elle promet le meilleur, mais aussi de réussir l'impossible là où personne ne l'attend plus. Une semaine avant l'exploit d'Auckland, l'équipe de Jean Desclaux s'est inclinée sèchement à Christchurch lors du premier test (23-9). "Une sacrée branlée", traduit Philippe Dintrans, qui honorait sa toute première cape. Presque une humiliation. Au point que Rives, lors du banquet d'après-match, demande à Mourie s'il était vraiment nécessaire de jouer le deuxième test d'Auckland. Les deux hommes se connaissent et s'apprécient mutuellement depuis une tournée des Blacks en Europe, trois ans plus tôt. "Je sais bien qu'il est au programme, grommelle Rives, mais..." Mourie le coupe: "Ah non, pas toi Jean-Pierre. Ce n'est pas toi, ça. Il n'y a rien d'impossible dans la vie..."

Fierté, audace, talent

Quatre jours plus tard, les Bleus sont à nouveau battus par la province du Southland (12-11), à Invercargill. Il n'y a dès lors plus grand monde pour croire à une première victoire française au pays des kiwis pour boucler cette tournée estivale. Peut-être regonflé par les paroles réconfortantes autant que sincères de Mourie, Jean-Pierre Rives, parfait dans son rôle de meneur d'hommes, est au contraire convaincu du destin de ce groupe. Alors, il motive. Rameute. Pousse un coup de gueule phénoménal. Et finalement, il convainc. Arguments à l'appui. Rappelle que jusqu'à ces deux défaites, la tournée s'était avérée encourageante, aussi bien en termes de jeu que de résultats bruts. Rives en est convaincu, cette équipe vaut mieux que ça. "Montrons aux All Blacks qu'ils ne sont pas les seuls à être fiers, montrons que nous pouvons l'être aussi", finit-il par lâcher. Dans le sillage de Casque d'Or, c'est toute l'équipe de France qui finit par croire en son étoile au matin du 14 juillet, date du second test.

Fier, le coq bleu, crête redressée et torse bombé, va l'être comme jamais, à l'image de ce pack de fer refusant de plier pendant 80 minutes. L'énorme match des avants (première ligne dantesque, touche dominatrice, Rives magistral et Joinel colossal en troisième ligne) autorise toutes les audaces derrière. Tant mieux, car si la fierté est là, elle ne fait pas tout. Le talent, ça compte aussi. A Christchurch, les Bleus avaient eu le tort de vouloir répondre dans le combat. Un défi stérile, une guerre perdue d'avance. Cette fois, ils veulent mettre du mouvement. Du mouvement? Le feu, oui. Aguirre, l'arrière grand frère, a gonflé à bloc sa jeune ligne de trois-quarts, avec les Cordorniou (21 ans) Costes (idem), Mesny et Averous, à peine plus vieux. Alors ils envoient du jeu, encore du jeu et ne lâchent jamais cette ligne directrice, même quand, après 25 minutes, les Blacks sont devant (3-7). Simple trompe-l'oeil.

Mourie est un seigneur

Il aurait fallu plus que cela, et plus que l'absence de réussite de leurs buteurs, pour stopper les Français. En deux minutes, juste avant la pause, la charnière plante deux essais. Gallion, d'abord, plein d'opportunisme sur un dégagement contré. Caussade, ensuite, dont la pointe de vitesse fait mouche sur le coup de pied à suivre d'Aguirre. Même sans les deux transformations, le XV de France vire en tête (7-11). L'exploit se dessine. Les Blacks sont estourbis. 120 secondes après l'entame de la seconde période, ils sont même au bord du K.O. quand le Voultain Averous, véritable acrobate, ajoute un troisième essai après une croisée avec Caussade. Un essai d'autant plus crucial que les Néo-Zélandais venaient d'inscrire une pénalité. 15-10. Et ce n'est pas fini. Drop de Caussade après un ballon chapardé en touche. 18-10. Puis, juste avant l'heure de jeu, un contre de 40 mètres. Au départ, Didier Codorniou, dont le plaquage sur Robertson provoque l'en avant. A l'arrivée, Codorniou encore. A cheval sur deux mi-temps, la France vient de passer quatre essais et 21 points aux Blacks, chez eux.

A 24-10, l'affaire semble entendue. A une minute de la fin du temps règlementaire, les Bleus sont encore largement devant (13-24), quand la marée noire s'abat sur l'Eden Park. Mourie, toujours là pour montrer l'exemple, inscrit le deuxième essai néo-zélandais. Transformé. Plus que cinq points de retard. Dans une dernière chevauchée désespérée, les Blacks sont tout près de marquer à nouveau. Heureusement, Costes, le petit Costes, surgit de l'aile opposée à la vitesse d'un champion olympique du 100m pour récupérer le ballon sur le coup de pied à suivre de la dernière chance. "Ce ballon, personne n'aurait pu me le toucher", jure-t-il. C'est fini. Ce n'est pas la Bastille qui vient de tomber, mais le bout du monde. Plus qu'une victoire. Un chef d'oeuvre. Ce jour-là, les Bleus ont planté le drapeau français sur l'Eden Park comme Neil Armstrong, 10 ans auparavant, avait posé le Stars-Spangled Banner sur la lune. En terre inconnue, où seule la quête de l'impossible peut changer le cours de l'histoire. Dans le vestiaire, après son vibrant "Vive la France", Mourie se dirige vers Rives, dont il porte le maillot, échangé contre le sien à la fin du match, sur le dos. "Alors, Jean-Pierre, tu vois, rien n'est impossible dans la vie." Ce 14 juillet, même les perdants étaient géants, et même les Blacks se sentaient un peu français...

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