Rodriguez: "L'équipe de France manque de caractère"

  • Laurent Rodriguez, c'est 56 sélections avec le XV de France
    Laurent Rodriguez, c'est 56 sélections avec le XV de France
  • Laurent Rodriguez avec Serge Blanco
    Laurent Rodriguez avec Serge Blanco
  • Laurent Rodriguez en compagnie de Patrice Lagiquet
    Laurent Rodriguez en compagnie de Patrice Lagiquet
  • Eric Champ - Eric Melville - Laurent Rodriguez - 1990
    Eric Champ - Eric Melville - Laurent Rodriguez - 1990
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Laurent Rodriguez dirige aujourd’hui l’établissement hôtelier qui porte son nom à Cambo les Bains. L’ex-international (56 sélections) et entraîneur n’a pas coupé avec le rugby puisqu’il entraîne les jeunes de Cambo et regarde tous les matchs qu’il peut à la télé. De manière générale, il pense que l’équipe de France "manque de caractère", mais que cela reste "un problème générationnel".

Comprenez-vous le nombre de critiques envers l’équipe de France ?

Laurent RODRIGUEZ: Nous sommes très critiques en France. Quand on gagne, on voudrait que ça gagne avec plus d’essais, plus de spectacle. Je ne sais pas si les autres nations sont aussi critiques que nous. On râle toujours. Je le vois avec du recul maintenant que je suis sorti du rugby professionnel, mais c’est vrai qu’en permanence tout le monde appuie là où ça fait mal.

Que ressentez-vous quand l’équipe de France joue ?

L.R: Tout est fait avec beaucoup d’hésitations et de tâtonnements. On a l’impression que les joueurs n’arrivent pas à se libérer. Même si ce n’est pas une génération extraordinaire, elle a beaucoup de similitude avec celle de mon époque. Je pense à Vahaamina par exemple et je le compare à Alain Lorieux. Jean Liénart l’avait trouvé sur le tard en se baladant dans la rue. Il avait un potentiel hors norme physiquement, mais il ne pigeait pas trop le rugby. Par contre, il s’envoyait comme un malade. Grâce à son physique il était arrivé jusqu’à ce niveau. Vahaamina, je ne sais pas depuis quand il joue au rugby mais quand je le vois évoluer il a les mêmes maladresses qu’Alain Lorieux. Il a un potentiel physique encore plus important mais il n’arrive pas à s’en servir, à le mettre en avant. Techniquement, il est capable de tenir ou faire une passe à une main, mais je ne sais pas. Il n’arrive pas à amener au collectif tout ce qu’il devrait. Peut-être qu’il a besoin de bouffer des jeux de rugby. En aucun cas on utilise ses capacités physiques comme on devrait. Lui aussi d’un côté n’arrive pas à se libérer. Mais il y arrivera, j’ai l’impression qu’il est à maturation lente et que ça prendra un peu de temps, mais qu’il y viendra.

Le fait de ne pas avoir plus souvent les joueurs pour se préparer avec le XV de France, est-ce un vrai problème ?

L.R: Cette équipe de France manque de joueurs à forte personnalité pour prendre les choses en main sur le terrain. La disponibilité ? Ils les ont. Quand je vois que Dusautoir fait pratiquement tous les matchs et qu’on ne le laisse pas souffler, je me dis: "est-ce qu’on a qu’un capitaine, qu’un mec capable de prendre l’équipe en main ?" Pourquoi se sent-on obligé de l’aligner en permanence alors qu’il pourrait nous rendre de gros services en Coupe du monde s’il ne cumule pas tous les matchs ? Qu’en tant que capitaine, il suive le groupe tout le temps, je trouverais ça normal. Mais on pourrait aligner quelqu’un d’autre. Seulement ça demande à trouver un autre capitaine. Si on ne trouve pas, c’est qu’il n’y a pas un autre mec capable de diriger le groupe et je trouve ça dommage.

Laurent Rodriguez avec Serge Blanco
Laurent Rodriguez avec Serge Blanco
Je suis persuadé qu’il manque seulement deux ou trois mecs à cette équipe pour qu’elle puisse bien marcher

Pensez-vous que globalement cette équipe manque de caractère ?

L.R: Oui, complètement. L’entraîneur a beau tout prévoir, de bouffer de la vidéo de l’équipe qu’il va jouer, il reste toujours des paramètres qu’il ne maîtrise pas. Il y a aussi la nouveauté que peut emmener l’équipe qu’il va affronter. S’il n’y a personne sur le terrain pour dire "attention les gars, il y a des faiblesses ici alors on va devoir changer et jouer comme ça", c’est un problème. Je trouve qu’il n’y a pas de joueurs qui soient capables de se dire également "je vais prendre une initiative qui va servir au collectif pour résoudre le problème".

Le staff, dont fait partie Patrice Lagisquet que vous connaissez bien, ne peut pas grand-chose contre ça.  

L.R: Je connais bien Patrice, et je suis sûr qu’il fait le même constat que moi. Il doit vouloir aimer trouver un ou deux joueurs derrière capables de prendre des initiatives. Mais je pense qu’il ne les a pas et que c’est tout simplement un problème générationnel. Je suis persuadé qu’il manque seulement deux ou trois mecs à cette équipe pour qu’elle puisse bien marcher.

Parlez-nous de cette troisième ligne que beaucoup disent non équilibrée avec deux gros défenseurs Le Roux et Dussautoir.

L.R: Elle ne doit pas être forcément être la même tout le temps. Il faudra toujours un gros plaqueur, mais peut-être qu’il faut aussi un manieur de ballon pour faire le lien entre les avants et les trois-quarts. Il faudrait un marathonien qui manipule bien le ballon, un mec qui peut porter le ballon comme étaient capables de le faire Olivier Magne ou Laurent Cabannes. Il manque un joueur comme ça. Mais pourquoi on ne le met pas ? J’ai l’impression qu’au niveau du cinq de devant, on ne fait pas le boulot pour libérer la troisième ligne. Je l’aimais la composition du cinq de devant contre l’Irlande, mais ils ne font plus un travail de besogneux. On les met dans la ligne, on leur en demande trop. On leur demande la même chose qu’aux avants all blacks ou australiens. Or notre rugby à nous ce n’est pas ça. À vouloir jouer un peu trop comme les équipes de l’hémisphère sud on perd notre rugby. Des fois, j’aimerais que les avants fassent un peu plus leur boulot d’avant et les trois-quarts leur boulot de trois-quarts.

Laurent Rodriguez en compagnie de Patrice Lagiquet
Laurent Rodriguez en compagnie de Patrice Lagiquet
Picamoles, c'est le huit par excellence qu’il faut à l’équipe de France

En troisième ligne centre on a l’impression de manquer de solution contrairement à votre époque ou il y avait les pros Cigagna et les pros Rodriguez.

L.R: Cigagna distribuait parfaitement le jeu dans un système toulousain où il était extraordinaire. Il était aussi puissant mais moins rapide que je l’étais. J’allais plutôt chercher les dix pour leur rentrer dans le buffet. Il était plus technique que moi et moi j’étais plus physique. Aujourd’hui, sur le profil du numéro huit, je vois un mec tonique et pas forcément grand, capable de partir vite au ras. Après il faut régler le problème de la touche. J’aimerais qu’il y ait de la puissance. C’est ce que fait très bien Picamoles quand il n’est pas blessé. C’est le huit par excellence qu’il faut à l’équipe de France. Il a de la puissance et il est technique. Quelque part, il est le mélange d’Albert Cigagna et Laurent Rodriguez (sourires).

Vous entraînez des jeunes rugbymen amateurs à Cambo les Bains. À leur contact, sentez-vous un désamour envers l’équipe de France ?

L.R: Au-delà de l’équipe de France, là où je suis surpris, c’est qu’ils n’ont pas la passion du rugby que nous avions. Quand je discute avec certains, ils me demandent "mais tu regardes tous les matchs ?" Oui je regarde tout, Top 14, Pro D2, dès qu’il y a un match à la télé. Eux me disent ne pas comprendre quelqu’un qui se met devant la télé pour regarder trois matchs dans le week-end. Moi, il m’arrive d’en regarder six. Tout ce que je peux regarder, je regarde. Eux non. Je suis même persuadé que pour certains d’entre eux, ils ne regardent même pas les matchs du XV de France s’ils ont un truc à faire qui leur plaît davantage.

Vous jugez que les jeunes ont moins la culture rugby. Pensez-vous que cela se retrouve dans cette équipe de France ?

L.R: J’ai rencontré Pascal Ondarts en début de semaine et il me disait "tu sais Laurent, j’étais à côté de Jean-Pierre Bastiat à l’hôtel et on a vu arriver les joueurs de l’équipe de France. Bon moi je suis petit. Que les mecs ne m’aient pas vu d’accord, mais Jean-Pierre Bastiat qui fait deux mètres quand même... Les mecs sont passés à côté de nous et ne nous ont pas reconnus. Ils ne savent pas qui on est". Je crois qu’il y a seulement Dussautoir qui s’est arrêté les saluer. Quand on était joueur, nous les anciens on les connaissait. Le rugby est devenu un métier où l’on gagne de l’argent. Certains font ce métier plutôt qu’un autre. J’ose espérer que pour certains, il y a encore de la passion au départ.  Il faut des gens plus passionnés, pas seulement là pour faire un métier et avoir un salaire à la fin du mois. Quand tu joues pour ton pays, il faut être passionné. Philippe Dintrans disait qu’il pouvait "jouer la jambe cassée" pour l’équipe de France lorsqu’il "entendait la Marseillaise". Ça manque de ça aujourd’hui. Je l’avais rencontré à mon niveau au Biarritz Olympique. Aujourd’hui vivre avec les jeunes, c’est s’adapter à eux. Et eux ne font pas trop l’effort de s’adapter et s’intéresser à l’environnement.

Eric Champ - Eric Melville - Laurent Rodriguez - 1990
Eric Champ - Eric Melville - Laurent Rodriguez - 1990
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